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intéressé dans la question ; mais nous nous efforçons de parler comme on le fera plus tard, bientôt peut-être, dans la persuasion où nous sommes que nous remuons des cendres refroidies. Décidés à être sincère sur les lacunes des dernières œuvres de l’exil, nous devons rendre un libre et juste témoignage à la supériorité des premières.

On pardonne beaucoup aux vers, et les défauts de l’historien ou de l’orateur deviennent souvent les qualités du poète. Libre à lui de se faire le centre de son livre, si le livre n’est pas un acte public, s’il s’adresse à des lecteurs qui s’intéressent à sa personne et qui partagent son émotion. Que M. Victor Hugo dans les Châtimens soit l’esprit vengeur qui passe sur les plaines, sur les monts, sur les mers, chassant les démons devant lui, qu’il soit le belluaire retroussant sa manche pour dompter les lions et les tigres, qu’il agite la torche qui flamboie dans la nuit des peuples, toute cette personnalité, tout cet orgueil même est permis à la satire compliquée de lyrisme, à Juvénal empruntant les images de Pindare. Ce rare poète enfermé dans son île, surtout dans ces premières années où l’exil n’était pas volontaire, où la blessure était toute saignante et empoisonnée par la perte des espérances d’abord conçues, savez-vous que c’est un tableau unique dans l’histoire des lettres !… Un ennemi politique pourrait seul refuser ses larmes à cette situation d’autant plus poignante que celui qui la souffre menace et ne veut pas pleurer. Une pièce d’une grande originalité, qui a pour titre Floréal, certainement la moins étudiée du recueil, nous le montre oubliant un instant la Fiance, le passé, ses ennemis, au milieu du renouvellement de la nature, quand soudain le souvenir douloureux se réveille ; il crie, il maudit, il ne veut plus rien voir, rien entendre, de cette nature qui lui faisait signe et l’appelait tout à l’heure. On croit voir le lion faire le tour de sa cage, on croit l’entendre rugir.

L’orateur avait tort d’insister sur la distinction d’un grand et d’un petit Napoléon, de ne pas voir à quel point ils sont solidaires. Il s’exposait encore à cette réponse bien simple : « s’il en faut un, nous aimons mieux qu’il ne soit pas trop grand. » On n’exige pas du poète une logique si rigoureuse il peut rapprocher l’oncle du neveu, grandir démesurément le premier afin d’écraser le second, refaire une sombre épopée du premier empire, peindre les grandes déroutes, évoquer les carnages de Waterloo, clouer un autre Prométhée sur le rocher de Sainte-Hélène, et montrer dans ces désastres mêmes la part de la gloire plus forte encore que celle du châtiment, afin que la vraie punition du grand homme ne soit autre que son successeur. C’est ce qu’il a fait dans la remarquable pièce d’Expiation. Les esprits réfléchis ne manqueront pas de réclamer contre