Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/922

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intelligence assez développée pour saisir le sens élevé des dogmes chrétiens et assez juvénile encore pour ne pas être froissé des contradictions qu’ils présentent. Ce moment fut court. « A peine mon âme s’était-elle éveillée au sens de ces profonds et saints mystères que ma raison vint m’en détourner au nom de la science et de la philosophie ; » mais, il en fait l’aveu, ce détachement des croyances primitives n’eut rien de douloureux. « Je fus plus heureux de ma liberté conquise qu’attristé de ma foi perdue. » Alors tout naturellement il eut son XVIIIe siècle, il rompit nettement avec le christianisme et se contenta d’un déisme assez semblable à celui du Vicaire savoyard. C’est en poursuivant ses recherches métaphysiques qu’il se vit ensuite poussé vers le panthéisme, ou du moins vers une doctrine refusant de séparer le fini de l’infini. Il se remit donc à attribuer une valeur relative aux symboles religieux et surtout aux symboles chrétiens, les appréciant de préférence au point de vue de leur portée morale. Une observation psychologique plus attentive lui fit comprendre le caractère naturel, irréfléchi, des révélations religieuses, et c’est ainsi que, tout en jugeant de haut le christianisme, il lui redevint sympathique. Même aujourd’hui, M. Vacherot serait disposé à en reconnaître la vérité permanente, du moins sous la forme scientifique et libérale que lui ont donnée les théologiens les plus avancés du protestantisme, si d’autres considérations, empruntées au même ordre de conceptions métaphysiques qui lui ont inspiré ce retour de sympathie pour l’Évangile, ne lui interdisaient pas de croire à l’avenir indéfini de la religion comme faculté indestructible de l’esprit humain.

En résumé, M. Vacherot est un exemple éminent de ce que plusieurs théologiens protestans de nos jours appellent l’intellectualisme. Il en a toutes les qualités, et, qu’on nous permette de l’ajouter, quelques lacunes, j’entends les lacunes inséparables de toute direction exclusive de l’esprit. Les qualités que l’on doit à une telle tendance, c’est la clarté, la sobriété jointe à la profondeur des idées, la défiance des apparences, l’autonomie de la pensée maintenue contre les égaremens de l’imagination et du cœur, et quand une vigueur exceptionnelle d’esprit soutient le déploiement systématique de la froide raison, une pareille tendance engendre ces grands systèmes qu’on admire quand même on ne peut les adapter, qui s’imposent avec leur beauté austère à tous ceux qui sont en état de la saisir et qui me passent pas dans l’histoire sans creuser un sillon ineffaçable sur le sol de la pensée humaine. Les lacunes, nous me pouvons nous empêcher de les voir dans cette impuissance de saisir certaines réalités d’un ordre que l’intelligence seule ne peut étudier que du dehors, et que par conséquent elle ne juge point avec