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panthéisme et même un certain athéisme puissent bien en découler logiquement, c’est ce que je n’oserais pas nier avec la même sécurité ; mais au nom de l’équité, au nom de l’histoire, au nom du bon sens, gardons-nous bien de classer les philosophes d’après les conséquences possibles de leurs principes. À ce compte, je ne suis pas un penseur, je ne sais pas un théologien, orthodoxe ou non, de l’antiquité ou des temps modernes, que l’on ne fût en droit d’accuser d’athéisme. Toute erreur en effet dans la notion de Dieu aboutit logiquement à ruiner la notion dont elle fait partie, et comme jusqu’à présent, aucune théodicée n’a été complètement à l’abri des objections, il faudrait ranger parmi les athées les âmes les plus religieuses qui aient jamais vécu sur la terre. Non, M. Vacherot, à le prendre tel qu’il se donne lui-même, — et c’est comme cela qu’il faut nous prendre tous, — n’est ni athée ni panthéiste. Je dirais plutôt qu’il est dithéiste, en ce sens qu’il scinde l’idée de Dieu en deux notions qu’il croit vraies, certaines chacune à part, mais entre lesquelles il lui est impossible de voir la moindre unité substantielle ou réelle. Partant d’une distinction radicale entre l’idée d’infini et celle de perfection, il reconnaît d’une part que l’ensemble des réalités que nous appelons le monde a un principe infini, souverain, d’une réalité supérieure encore aux êtres particuliers dans lesquels se déversent ses virtualités éternelles, de l’autre que la conscience humaine est ouverte à la notion et à l’amour d’un idéal de perfection s’élevant, s’enrichissant, se purifiant, à mesure qu’elle s’élève, s’enrichit, se purifie elle-même. Seulement, — et voici la difficulté qui commence entre nous, — il faut bien se garder de réunir ces deux notions sur un seul et même être réel. La première, celle du principe infini de l’univers, a un objet réel ; c’est ce principe qui nous crée, au sens philosophique du mot créer, c’est en lui que nous sommes, que nous vivons, que nous agissons, mais voilà tout, ou à peu près, ce que nous en pouvons savoir. La seconde, l’idéal, nous le connaissons, nous le voyons des yeux de l’esprit, nous l’engendrons, il fait partie inaliénable de notre nature humaine développée, c’est en réalité notre Dieu, seul adorable, seul parfait, et M. Vacherot devient mystique quand il en parle ; mais en dehors de nous cet idéal ne répond à rien de réel, c’est un être tout subjectif, et, au nom d’une dialectique rigoureuse, il est interdit au penseur de réunir l’infini et le parfait de manière à affirmer l’existence d’un Dieu réel, auteur des choses et perfection suprême, expliquant par son rapport objectif avec l’âme humaine le fait des religions, en légitimant l’existence et en garantissant la perpétuité sous une forme quelconque. Tout en se montrant aussi sympathique au passé religieux de l’humanité qu’il est possible de l’être sur un