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devancière. Le lion, confiant dans sa force, supporte plus aisément le voisinage d’un léopard que celui d’un essaim de fourmis. Cette colère s’accrut encore lorsque, par un subit engouement, la France, restée si longtemps indifférente à ce genre de travaux, vint donner aux résultats les plus importans de l’exégèse historique le concours de son clair génie et de son beau langage. Depuis lors ce n’est plus seulement l’Allemagne, c’est le monde chrétien tout entier qui se mêle à ce débat. L’aurait-on pu croire il y a seulement dix ans ? l’Espagne elle-même est envahie, et nous pourrions signaler, si des raisons de discrétion et de prudence ne nous arrêtaient encore à cette heure, plus d’un indice attestant que la critique religieuse peut aussi bien, si ce n’est mieux que Louis XIV, proclamer l’abolition des Pyrénées.

C’est donc la critique, c’est-à-dire la recherche des origines, l’analyse des élémens, l’appréciation des détails, le déroulement des filiations historiques, la décomposition méthodique, en un mot, des doctrines et des traditions religieuses, qui caractérise la seconde période théologique de notre siècle. Cette période dure encore. Il se peut que l’intérêt du grand public ne se porte sur elle que par intermittences. Vis-à-vis des religions traditionnelles, l’attitude elle-même de la critique a pu varier. De ses représentans les plus distingués, les uns sont restés enveloppés d’une indifférence au moins apparente, et ont eu l’air de croire qu’il était de la dignité de la science de ne se préoccuper en rien des conséquences de leurs travaux quant au jugement qu’il faut porter sur les églises et sur leurs doctrines ! D’autres ont infligé à leurs adversaires ecclésiastiques le petit supplice de les entendre professer des sympathies chaleureuses pour des institutions dont ils battaient en brèche l’autorité surnaturelle. D’autres enfin, et ce sont surtout les critiques protestans qui ont adopté cette ligne de conduite, ont pensé qu’ils pouvaient dès à présent, au nom des principes mêmes du protestantisme comme en vertu des évidences acquises de nos jours, travailler à la réforme graduelle de l’orthodoxie et de l’enseignement religieux populaire sans rompre formellement avec le passé, sans renoncer au christianisme essentiel. Toutefois une certaine unité d’esprit plane toujours au-dessus de ces diversités de conduite et d’application ; les principes historiques, les méthodes de recherche, sont les mêmes, et, au point de vue de la marche des idées, le caractère éminemment critique de la période où nous sommes encore engagés ne peut faire doute aux yeux de personne.

Cependant nous inclinons fort à penser que déjà paraissent les symptômes d’une évolution nouvelle de la science religieuse. Déjà d’éminens esprits laissent percer le sentiment qu’il commence à