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n’est, à tout prendre, que notre institution des prudhommes à l’état consultatif. M. Mundella et M. Kettle ont eu le bonheur d’avoir en face d’eux des ouvriers accommodans qui d’emblée ne croisaient pas le fer avec les maîtres et se résignaient en dernier ressort aux décisions d’un juge qui n’était pas un des leurs. Que de conditions difficiles à réunir, et dans combien de cas se présenteraient-elles ? Tranchons le mot : ce sont là des exceptions manifestes qui font honneur aux hommes qui les ont conduites à bien, mais dont il serait imprudent de trop attendre et de trop conclure. La curieuse aventure des houillères de M. Briggs est une exception également ; c’est de plus, sous les formes du désintéressement, le calcul d’un homme très avisé, et pour le régime coopératif une conquête médiocre, dès qu’il s’agit seulement d’une minime part dans les profits de l’exploitation, comme cela a lieu pour le chemin de fer d’Orléans. Consolation bien petite en présence de grosses infortunes ! En Angleterre, les actions du régime coopératif ne sont pas en hausse, bien s’en faut ; les pionniers de Rochdale semblent fort calmes après tout le bruit qu’ils ont mené. En France, nous en sommes aux tables mortuaires ; la société coopérative du Crédit au travail, qui avait tout embrassé, journal, almanach, escomptes, commandites, n’a en définitive rien su étreindre ; elle est en liquidation depuis six mois. Les intéressés expliquent l’échec par une déviation des statuts ; on aurait dû s’en tenir, disent-ils, à l’escompte du papier ou des valeurs à courte échéance et se préserver de la commandite inconsidérée des industries. Presque tout le fonds social a été ainsi frappé, dès l’origine, d’immobilité, si bien qu’à un jour donné la caisse n’a pu satisfaire aux engagemens en circulation. Il est sans intérêt de discuter l’excuse ; mais comment se fait-il que les industries commanditées aient à peu près toutes mal tourné et ruiné irrémédiablement le commanditaire ? De seconde ou de première main, c’est toujours le système qui est en faute et fait payer à ses partisans le triste engouement dont il a été l’objet. L’expérience restera. On pourra encore, avec des élémens choisis et une sévère surveillance, constituer des associations coopératives ; il ne sera plus permis d’en faire une agence universelle de fortune à l’usage de nos sociétés mêlées.

Où trouver alors le salut ? dira-t-on. Comment amortir ou balancer le choc de cette légion dont parlent les déposans à l’enquête anglaise, de ces 800,000 hommes enrôlés dans des unions qui ont leurs cadres et leur discipline avec leurs caisses à l’appui ? Nos voisins n’ont pas l’air d’en prendre grand souci, et ce n’est pas le cas de se montrer plus inquiets qu’eux. Peut-être y a-t-il là-dessous quelque fantasmagorie : 800,000 hommes, c’est beaucoup, surtout