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importaient : obtenir de ses gens le triage immédiat du charbon, auquel ils résistaient par des grèves acharnées, et leur désistement du système de restriction, c’est-à-dire du travail réduit de parti-pris, qui était, comme les grèves, un moyen de guerre d’autant plus redoutable qu’il était plus sournois. Comment atteindre ce double objet au moment où les cerveaux étaient en feu ? M. Briggs n’en désespéra pas ; il se dit qu’il n’y aurait de repos pour son entreprise que lorsque ses ouvriers la regarderaient comme la leur. Que fit-il ? Il la constitua par actions au capital de 90,000 liv. st. (2,250,000 fr.), et la convertit en une société en commandite formée de 9,000 actions de 10 liv. sterl. chacune (250 fr.). Les anciens propriétaires en gardèrent les deux tiers ; l’autre tiers, 3,000 actions, fut mis à la disposition des ouvriers. Cet octroi, nouveau pour des salariés, ne trouva d’abord que des incrédules. L’action qu’on offrait à chacun d’eux ne les obligeait pas pourtant à un débours immédiat ; par des calculs habiles, le montant en pouvait être couvert peu à peu au moyen d’avantages particuliers qui leur étaient faits. Les salaires restaient d’ailleurs les mêmes, qu’ils devinssent ou non souscripteurs d’actions, Si pour tous les ouvriers il y avait une dévolution sur les profits de la mine, elle était moindre pour les non-souscripteurs, plus forte pour les souscripteurs, 10 pour 100 au lieu de 5. N’importe ; ces derniers n’affluaient pas. Afin de le devenir, il suffisait de se munir d’un livret qui coûtait 1 penny (10 cent.) ; un tiers seulement des ouvriers fit cette dépense insignifiante. Il fallut pour décider les autres le témoignage décisif des premiers dividendes, et aujourd’hui encore ce supplément de revenu est négligé par le dixième de ceux qui y ont droit ; mais l’objet de M. Briggs n’en était pas moins atteint : ses ouvriers ne sont plus les mêmes hommes ; plus de grèves, plus de travail ralenti à dessein, six jours seulement de chômage en trois ans. Avec une petite part de propriété, le goût de l’exploitation leur est venu ; ils la poussent à qui mieux mieux, et en font au besoin la police comme les gardiens les plus vigilans.

Ces exemples, ces témoignages d’amendement moral, ces rapprochemens amenés par l’intérêt commun, tiennent une place essentielle dans le volume de M. le comte de Paris. Le récit a de l’intérêt et par endroits un charme réel ; il est semé d’anecdotes qui l’animent ; on y sent surtout l’épanchement d’une âme généreuse. C’est, à en bien juger la signification, l’idée-mère de ces trois cents pages et l’argument principal de l’auteur. Cet argument est-il concluant de tout point ? Les moyens suggérés, appliqués même par MM. Kettle, Mundella et Briggs, ont-ils une valeur absolue, une vertu communicative ? Tout en le souhaitant, on peut en douter. Ce conseil d’arbitres, dont les deux premiers ont obtenu de bons effets,