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spectacle, c’était une force ; il régnait dans les rangs la ferme volonté d’en finir. Mis en demeure, le conseil d’état s’exécuta de bonne grâce ; il descendit en corps sur le perron, et l’un de ses membres, M. Frederich, donna lecture d’une proclamation qui allait être affichée et répondait aux désirs de la réunion aussi bien qu’aux sollicitudes déjà éveillées du gouvernement. Il y était encore question de conciliation, mais en même temps on y déclarait qu’on ne souffrirait plus d’atteintes impunies au droit individuel. « Nous comptons sur votre concours, ajouta d’une voix forte le conseiller d’état qui portait la parole au nom de ses collègues ; vous nous le promettez, n’est-ce pas ? — Oui ! » répondirent des milliers de voix, et les groupes se dispersèrent avec la confiance que donne une opération bien conduite. On s’était compté.

Le coup était rude pour l’Association internationale ; en vain essaya-t-elle de s’en relever. Toutes ses sections furent convoquées pour le 7 avril, à sept heures du soir, au Stand de la Couleuvronière ; quinze cents personnes s’y rendirent, et dans le nombre beaucoup de curieux ou d’indifférens. On devait y poser, au sujet des derniers événemens, des questions de droit et des questions de fait. Les questions de droit consistaient à bien fixer la limite des engagemens d’une minorité vis-à-vis de la majorité et des moyens réguliers de contrainte quand ces engagemens sont violés. Les questions de fait portaient sur les moyens irréguliers de contrainte qui étaient de nature à agir sur les défaillans sans tomber sous le coup de la loi. On déraisonna à perte de vue sur ces propositions sans rien trouver de mieux qu’un recours à des pouvoirs discrétionnaires, ce dernier mot de tous les régimes socialistes. Des casuistes soumirent pourtant à la réunion quelques scrupules qui sortaient du domaine de la théorie, et sur lesquels, pour leur règle, ils tenaient à être édifiés. Jusqu’à quel point leur était-il permis de berner et de bafouer ceux d’entre leurs camarades qui avaient trahi leur cause ? Bien entendu que les circonstances les plus graves seraient d’abord écartées, qu’il n’y aurait ni violation de domicile, ni préméditation, ni voies de fait, et que le châtiment serait infligé sur le pavé, comme dans les hasards d’une rencontre. Une escorte au bruit des sifflets par exemple, qui pourrait y trouver à redire ? Des charivaris à outrance, individuellement administrés et périodiquement reproduits, n’étaient-ils point à l’abri des recherches, pourvu qu’on se tînt à distance convenable ? Naturellement les réponses à ces questions étaient conformes aux passions de ceux qui les posaient, et leur jurisprudence s’établit dans ce sens. On crut à l’impunité de ces petits sévices, on les continua ; mais cette fois les assaillans trouvèrent à qui parler. Se sentant soutenus, les