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se succédaient par une stricte exécution des règlemens de fabrique. Il fit annoncer dès la veille que les ouvriers qui s’absenteraient le 9 seraient congédiés. Là-dessus grande rumeur. C’était l’un des établissemens les plus considérables de la ville, et si paternellement conduit qu’on avait bâti à portée et par groupes des maisons d’ouvriers qui leur étaient cédées moyennant un loyer très modéré ; mais qu’on était loin alors de ces largesses du patronage ! Au défi des ouvriers, l’établissement répondait par un autre défi ; des deux parts, la passion s’en mêlait. Les choses marchèrent vite : sur 274 passementiers, 70 seulement déférèrent à la consigne, 204 la violèrent, et quand on donna congé à ces derniers, l’atelier déserta en masse. A peine ouverte, la guerre s’était envenimée ; on parlait déjà de moyens extrêmes, comme l’évacuation des logemens que les ouvriers tenaient à bail irrégulier, lorsque le bourgmestre survint, et dicta les conditions d’une trêve. La grève cesserait, et les ouvriers se remettraient tous à la besogne. En même temps le projet de réforme des règlemens serait soumis à un examen contradictoire, avec le désir de le faire aboutir à un compromis. Porté d’abord devant le petit conseil de la commune, le débat passa ensuite à son arbitre naturel, la chambre de commerce, qui délégua deux de ses membres pour en connaître et au besoin le concilier.

La tâche n’était point aisée ; rien de possible dans tous les cas devant l’obstacle que voici : d’un côté des ouvriers persistant à se faire représenter par l’Association internationale, de l’autre des fabricans ne tenant pour sérieux ni les mandataires ni le mandat, et déclarant qu’ils ne traiteraient qu’avec les gens de leurs ateliers, point avec d’autres. Les négociations roulaient ainsi sur une équivoque ; la chambre de commerce ne pouvait parvenir à mettre en présence les contendans. Les ouvriers se rendaient aux convocations, mais personnifiés par les intermédiaires dont les fabricans ne voulaient pas entendre parler. Bon gré, mal gré, il fallut temporiser, procéder isolément et par voie indirecte. Ces délais, en se prolongeant, entretenaient dans les ateliers une fermentation qui gagna la place publique. Le 13 décembre, réunion tumultueuse de tous les corps d’état ; les motions se succédaient, aboutissant à dire qu’il fallait en finir avec ces dénis de justice aggravés par un affront. Là-dessus les esprits s’aigrissent, et le flot des mécontens grossit. Les ouvriers teinturiers, qui jusque-là s’étaient tenus à l’écart, s’avisèrent qu’il était temps de dicter leurs conditions, et quelles conditions ! C’est à n’y pas croire, même avec le texte sous les yeux. Le moindre ouvrier devait gagner 3 francs par jour, l’ouvrier dégrossi 3 francs 50 centimes, l’ouvrier formé 4 fr. 50 c. Le vin continuerait à être délivré suivant les usages.