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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


clergé pour la succession d’Arsace ; l’histoire nous dit seulement que les compétitions furent nombreuses, et les luttes tellement acharnées que l’interrègne dura quatre mois. Au bout de ce temps, le choix s’arrêta sur un prêtre de Constantinople qui portait aussi au front le sceau de la bête, car il avait témoigné plusieurs fois contre l’évêque légitime au concile du Chêne et pressé sa condamnation. Trop d’ecclésiastiques en effet s’étaient compromis dans les dernières luttes, et les passions hostiles étaient trop prononcées pour qu’on pût s’attendre à voir nommer ou un joannite ou un homme tant soit peu soupçonné de l’être.

Le nouvel élu, nommé Atticus, était un Arménien originaire de Sébaste, où il avait passé son enfance parmi des moines macédoniens qui tenaient alors en ce lieu, suivant l’expression d’un écrivain ecclésiastique, « boutique de leur philosophie. » Devenu homme, l’Arménien quitta son pays, vint à Constantinople, et se laissa facilement convertir au catholicisme, plus par prudence que par doctrine, si l’on en croit le même historien. Il entra bientôt dans les ordres, et l’archevêque d’alors, soit Nectaire, soit son successeur, l’attacha à son église. Le jeune Macédonien, rompu aux études subtiles de son couvent sur la nature du Saint-Esprit et sa place dans la sainte Trinité, avait grandement négligé les lettres profanes et fit rire à ses dépens dans cette église savante des Grégoire de Nazianze et des Chrysostome, où les discours de Démosthène et d’Isocrate marchaient, presque de pair avec les psaumes de David et les épîtres de saint Paul. Atticus fut donc taxé d’ignorance par ses confrères. Il apportait d’ailleurs avec lui un terrible accent arménien qui eût gâté dans sa bouche l’éloquence même. Ces désavantages l’affectèrent à ce point qu’il n’osait pas improviser et apprenait ses sermons par cœur. Aussi ne trouva-t-il point de tachygraphe pour les recueillir, quoiqu’ils continssent, au fond, de très bonnes choses. Comme il était homme de résolution, il prit un moyen énergique de se corriger et de railler à son tour ses détracteurs. Se confinant dans une retraite absolue, il se mit à étudier nuit et jour, à l’insu de tout le monde, les grands modèles de la littérature hellénique, et à corriger par des efforts sur lui-même ce que sa prononciation arménienne avait de trop choquant pour des Grecs ; puis un beau jour il reparut dans la société, de ses collègues, parlant mieux qu’eux d’Aristote et de Platon, et pouvant presque passer pour un Athénien. Tout le monde s’inclina, devant cette volonté de fer, et Atticus dès lors jouit d’un grand crédit comme homme de conduite cependant beaucoup plus que comme homme de science. Il fut, sans trop se mettre en avant, un des meneurs des dernières cabales contre l’archevêque Jean, et c’est ce qui valut à sa candidature