Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/869

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
861
CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


temps des orages se succédaient à de courts intervalles ; la foudre tomba plusieurs fois dans l’enceinte des murs, tandis qu’une grêle d’une grosseur prodigieuse détruisait les moissons sur quelques milles alentour. Il n’en fallait pas davantage pour persuader à l’empereur que le courroux du ciel était véritablement déchaîné contre lui et contre ses sujets, et il écrivit à un solitaire d’une sainteté reconnue qui habitait le mont Sinaï pour obtenir ses prières, toutes puissantes, disait-on, auprès de Dieu. Ce solitaire se nommait Nilus, et l’église l’honore encore aujourd’hui sous le nom de saint Nil.

Nilus n’avait pas toujours été un pauvre moine caché au fond d’un désert. Il avait brillé à la cour du grand Théodose par la fortune, l’élégance des manières, la beauté du corps, par un esprit honnête et droit qui l’avait fait surnommer le Sage. Juste appréciateur de ses rares qualités, Théodose lui confia des postes importans, et entre autres la préfecture du prétoire d’Orient. Il s’était marié à une jeune femme qu’il aimait, et avait eu d’elle deux fils. Un matin, cet homme si favorisé de tout ce que le monde recherche déposa ses honneurs, dit adieu à sa femme, et partit, emmenant avec lui un de ses fils. Où allait-il ? Il allait chercher la paix de l’âme que le monde ne lui avait point donnée, et consacrer son fils à Dieu sur quelque montagne solitaire, comme le patriarche Abraham sur les hauteurs de Moria ; mais il attendait que le ciel lui indiquât sa demeure. Les déserts de l’Égypte et de la Syrie ne lui plurent pas ; ils étaient trop peuplés de moines et trop voisins des villes ; il ne s’arrêta que dans le grand désert d’Arabie, sur une des pentes du mont Sinaï. Il y trouva quelques anachorètes en petit nombre, vivant épars dans des cavernes ; il les réunit, en attira d’autres, et avec l’argent qui lui restait de sa fortune il construisit une église et un monastère au lieu dit le Buisson, parce que c’était là que Dieu avait apparu à Moïse dans un buisson ardent. Le monastère voulut avoir Nilus pour abbé. Dans son nouvel état, l’ancien préfet du prétoire se distingua par des vertus austères dont la pratique s’unissait en lui à des connaissances profanes étendues et à de fortes études sur les Écritures, si bien que Nilus devint bientôt l’oracle des moines de son temps. On disait, tant il était prévoyant et secourable, que Dieu lui avait conféré le don de prophétie avec celui des miracles, et qu’il n’avait jamais rien refusé à ses prières.

Arcadius, qui l’avait connu enfant à la cour de son père, crut pouvoir recourir à lui avec confiance pour qu’il détournât la colère de Dieu suspendue sur la ville impériale et sur lui-même ; mais Nilus refusa de prier. « Comment veux-tu, lui répondit-il avec une sainte liberté, que j’ose prier pour une ville qui mérite par tant