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grand nombre d’évêques occidentaux. Pour le parti de Chrysostome, l’église d’Arsace était le schisme ; pour le parti d’Arsace, le schisme était dans les joannites et dans leurs réunions. On se rejetait donc d’un côté à l’autre ces mots de schisme et de schismatiques ; mais les joannites, qui avaient le prince contre eux, eurent aussi contre eux la loi, et le parti qu’ils traitaient eux-mêmes de schismatique le leur fit bien voir dans l’application du décret du 11 septembre 404.

L’histoire nous dit que ce fut Arsace qui, voyant ses basiliques presque désertes et les catholiques de Constantinople s’obstiner à tenir des assemblées séparées, sollicita lui-même du prince l’emploi des moyens de rigueur. Des soldats furent préposés à la chasse des joannites dans les bois, dans les montagnes, dans les édifices abandonnés de la banlieue de Constantinople ; on dispersa les assemblées à coups de pierres et de bâtons ; le cirque de bois fut pris et repris ; des domiciles privés furent violés pour y surprendre des prêtres et des fidèles en contravention. Suivaient les comparutions devant le juge, les incarcérations, la question pour la révélation des complices. Une des choses qui éloignaient le plus les joannites d’un rapprochement avec ce qui était pour eux le schisme, c’est qu’on les obligeait, à leur entrée dans les basiliques, d’anathématiser Chrysostome ; ils préféraient à une pareille tyrannie les fers, les cachots, la torture. Quand les peines corporelles ne leur étaient pas appliquées, on leur faisait payer des sommes qui les ruinaient. On alla jusqu’à condamner à l’amende les corporations quand un de leurs membres était surpris dans les assemblées prohibées, ou les maîtres quand leurs serviteurs ou leurs esclaves se rendaient coupables du même crime, les constituant ainsi gardiens de l’exécution de la loi. Toutes ces mesures iniques et cruelles, prises sur la sollicitation d’Arsace, justifiaient assez les termes énergiques dont se servait l’exilé, quand il écrivait qu’on avait livré la direction de l’église à un loup, non à un pasteur, à un pirate, non à un pilote, et que la santé des âmes était confiée aux soins non d’un médecin, mais d’un bourreau.

Toutefois la persécution ne continua pas longtemps avec cette intensité, ou Arsace y prit une part de moins en moins directe. Au fond, ce vieillard n’était pas né persécuteur ; il ne possédait ni l’activité ni la passion nécessaires pour être un Hérode ou un Néron : c’était tout simplement un ambitieux de peu de conscience, et quand il crut avoir acquitté suffisamment envers l’impératrice la dette de son épiscopat, il voulut en jouir et se reposer. Acacius, Antiochus, Sévérien et les autres « cabaleurs et sycophantes de Jean, » suivant un surnom bien mérité, eurent beau le stimuler et le réprimander ; il les laissa dire et ne fit rien. Quel-