Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/862

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
854
REVUE DES DEUX MONDES.


tumulte, et que ces gens n’agissaient que par ses ordres, il déclara qu’il allait le trouver et lui remontrer qu’on ne pouvait traiter ainsi l’hôte de la ville, et envoyer à une mort certaine un vieillard infirme et exténué ; il espérait, disait-il, obtenir de Pharetrius au moins deux jours de répit ; autour de Chrysostome, personne ne le crut. Une sorte de trêve cependant résulta de l’intervention du préfet, et les moines retournèrent dans leur couvent. Chrysostome employa la soirée à envoyer chez ceux des prêtres, qui le visitaient le plus fréquemment et lui témoignaient le plus d’affection, pour les engager à le venir voir, le conseiller, l’assister ; aucun ne vint. Ils étaient tous absens ou plutôt ils feignaient de l’être : la peur les avait paralysés.

Le lendemain, la scène recommença avec des symptômes encore plus menaçans que la veille ; les moines avaient fait dans la soirée de nouvelles recrues, et ils arrivaient décidés à tout. Les officiers dirent alors à Chrysostome : « Nous sommes trop peu nombreux pour résister à ce troupeau de bêtes féroces, nous y péririons honteusement. Mieux vaut affronter les bandes des Isaures que de rester au pouvoir de ces misérables. Nous t’en conjurons donc, très saint père, mettons-nous en route sans tarder. » Chrysostome ordonna de préparer le mulet qui portait sa litière, et ils partirent. Il était alors midi. Une foule consternée ou indignée, proférant des malédictions contre l’évêque, garnissait les rues où ils passèrent. Hors des portes, Chrysostome reconnut plusieurs ecclésiastiques qui s’étaient postés là, comme en cachette, pour lui adresser un dernier adieu : il s’aperçut qu’ils pleuraient. Un d’eux, s’approchant de la litière, lui dit : « Va et hâte-toi, car ta vie n’est plus en sûreté ; tombe, s’il le faut, au pouvoir des Isaures, pourvu que tu échappes aux nôtres ; tout vaut mieux pour toi que ce qui se passe ici. » Pendant que ce prêtre parlait, urne dame de Césarée que Chrysostome avait vue quelquefois et qui se nommait Séleucie vint prier l’exilé de s’arrêter dans sa villa, qui n’était éloignée que de cinq milles, et près de la route qu’il parcourait. « Il pourrait y passer la nuit, disait-elle, et se reposer tout à son aise. Les Isaures étaient assez loin déjà pour qu’on n’en entendît plus parler, et quant aux moines, ils n’oseraient certes pas l’aller chercher jusque-là. » Chrysostome, ressaisi par la fièvre, accepta ; des domestiques qui accompagnaient la dame furent chargés d’introduire l’escorte dans la villa, et Séleucie retourna vers Césarée.

La villa de Séleucie était une vaste habitation rurale composée d’une maison de plaisance et de logemens de colons, et fermiers groupés autour d’un château-fort, sorte de donjon qui servait de demeure particulière au seigneur et de lieu de refuge pour tout le