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geant la plaine, coupant les blés mûrs, emmenant les paysans captifs dans la montagne ; on annonça même qu’ils venaient de brûler un des gros villages de la banlieue. Il n’y eut alors qu’un cri dans Césarée : « aux armes ! » C’est ici le lieu de dire ce que c’était que ces Isaures, dont nous aurons lieu bien souvent de parler dans la suite de ce récit.

Au-dessus de ce labyrinthe de montagnes dont l’entre-croisement forme les provinces de Cilicie, d’Arménie et de Cappadoce, s’élève l’Isaurie, dont les cimes neigeuses dominent au loin les chaînes du Taurus et de l’Anti-Taurus, comme les murailles d’une immense citadelle. Ce lieu, défendu par des ravins affreux et par de longs hivers, semble avoir été prédestiné par la nature à être le repaire d’un peuple de brigands, et c’est sous ces couleurs en effet que les Isaures nous apparaissent dès les premiers temps de l’histoire. À l’époque des dynasties phrygienne et persane non moins que sous les successeurs d’Alexandre, les Isaures furent l’effroi de l’Asie-Mineure : tantôt, alliés avec les Ciliciens, ils infestaient de flottes de pirates les mers de la Cilicie et de la Grèce ; tantôt, suivant la ligne de leurs montagnes, ils allaient promener leurs dévastations par terre jusque sur les villes du Pont-Euxin. Au déclin de la république romaine, Servilius les battit et se glorifia du surnom d’Isaurique ; Pompée leur fit éprouver une autre défaite sur mer. L’empire les contint sans les dompter. Chaque fois qu’en Orient la révolte de quelque province ou de quelques légions venait troubler la paix publique, l’Isaurie ne manquait pas d’ajouter le fléau de ses déprédations à celui de la guerre civile.

Probus imagina, pour réduire ces féroces tribus, un moyen dont la politique moderne nous donnait encore tout récemment un exemple : après avoir forcé l’entrée de leurs montagnes, il en exporta les hommes, qu’il envoya peupler des déserts au pied du Caucase, garda les femmes, et y colonisa des légionnaires ; mais il n’atteignit point son but. La sève native et les nécessités du climat l’emportant, les fils des vétérans mariés avec les femmes isauriennes devinrent de véritables Isaures, non moins indépendans, non moins voleurs, non moins redoutables que les autres. On prit alors le parti de bloquer, pour ainsi dire, le pays par une ceinture de garnisons, et d’augmenter la force militaire des cités voisines. Au temps dont nous parlons, les forts de l’Isaurie étaient occupés par deux mille sept cents hommes de pied et quelques escadrons de cavalerie. Ces forces avaient suffi pour maintenir la paix sous le grand Théodose ; mais la faiblesse de ses fils, l’invasion des Huns du Caucase, appelés par Rufin, puis l’agitation causée par les querelles religieuses, qui allait toujours en croissant dans ces provinces,