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au concile du Chêne, son premier exil, l’aversion déclarée que lui montraient l’impératrice et les évêques favoris de l’empereur, son œuvre déclina ; sa seconde persécution l’acheva tout à fait. Les prêtres païens rentrèrent dans leurs temples, et on les y laissa rentrer ; les églises à leur tour furent démolies et les moines expulsés de toute la province par une réaction à laquelle probablement la haine contre Chrysostome eut beaucoup de part.

Voilà ce qu’apprit l’exilé pendant son séjour à Nicée par des prêtres venus de la Syrie ou de l’Asie-Mineure. Son cœur en fut ému. Profitant des courts instans que lui laissait cette halte sur le chemin de l’exil, il conçut l’idée de remonter son entreprise perdue. Il prêcha tous les prêtres qu’il vit, cherchant à leur souffler un peu de l’ardeur qui le consumait ; il écrivit même à un de ses amis d’Antioche, le prêtre Constance, pour en faire un second lui-même dans la capitale de la Syrie. Ce n’est pas qu’il crût trouver en Constance un missionnaire actif, un chef armé de propagande, exécutant lui-même et donnant l’exemple aux travailleurs ; l’ami de Chrysostome n’avait pas ces qualités, quoiqu’il en eût beaucoup d’autres, et d’ailleurs plus d’un catholique fidèle dans Antioche lui réservait la succession de l’archevêque Flavien, arrivé aux limites de l’âge. Ce fut donc un travail de direction que lui imposa Chrysostome, l’engageant à chercher des ouvriers parmi les moines, lui promettant de l’argent en abondance, des armes de démolition, pioches, pelles, leviers, tout ce qu’il fallait en un mot pour une pareille guerre, avec des vivres pour sa petite armée, qu’on tenterait de chasser par la famine. L’exilé promettait tout cela, n’ayant pas lui-même une obole, gardé par des soldats et à la veille d’un voyage lointain, et pourtant il tint tout cela, tant sa parole sut remuer de cœurs et ouvrir de bourses ! Il fit plus encore : un chef d’action manquait à l’entreprise, il le chercha et le trouva. Aux environs de Nicée vivait un ermite retiré dans une caverne où il s’était en quelque sorte muré ; il avait juré d’y mourir, disait-il, loin de la vie active et du commerce des hommes, avec lesquels il avait décidément rompu. Ce fut ce solitaire que Chrysostome choisit comme général pour aller conduire la guerre chrétienne en Phénicie. « Sors de tes montagnes, lui écrivit-il, et laisse là la stérile vocation, qui ne peut servir ni aux hommes ni à Dieu. Prends un bâton et pars ; va trouver à Antioche le prêtre Constance, et entends-toi avec lui pour renverser les idoles de la Phénicie ; il te fournira tout ce dont la sainte milice aura besoin. » L’ermite hésitait, Chrysostome lui récrivit avec colère, et il partit.

Cependant le temps de séjour était expiré, le prisonnier dut se remettre en marche avec son escorte le 5 ou 6 juillet, se dirigeant