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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


pour les personnes, comme on l’a vu à l’égard de Chrysostome ; en tout cas, il fut révoqué au bout de quelques jours, et la préfecture de la ville passa de ses mains, en dehors du roulement régulier des magistratures, dans celles d’un homme qui allait plus au cœur de l’impératrice, et fit tout en effet pour n’être pas suspecté. Il se nommait Optatus, et les contemporains nous disent qu’il était païen, non pas assurément du paganisme grossier du peuple, lequel consistait à adorer des dieux de pierre et de bois, mais de celui de la classe éclairée et riche, du polythéisme des sophistes et des mystagogues, que l’on nommait alors l’hellénisme. Le christianisme n’avait pas d’ennemie plus mortelle que cette secte superbe et haineuse, et les chrétiens de juges plus redoutables que ses adeptes, qui semblaient avoir pris pour mot d’ordre cette parole d’un historien païen à propos de l’incendie de Rome sous Néron : que les chrétiens, « quoi qu’ils fissent, étaient toujours coupables et méritaient toujours les dernières rigueurs. » C’est avec des convictions de ce genre qu’Optatus alla continuer, au sujet de l’embrasement de Sainte-Sophie, l’action criminelle commencée par son prédécesseur. En sectaire et courtisan également zélé, il voulut procéder par lui-même aux interrogatoires, et alla s’installer au forum, sur son tribunal, flanqué des instrumens de la torture, brasiers ardens, grilles, chevalets, ceps, tenailles à l’ordre les membres, et environné des dénonciateurs, des bourreaux, des inquisiteurs et autres agens de la question. Il paraît que parmi ces derniers siégeaient des clercs du parti de la cour chargés d’assister le juge et les questionneurs au besoin en leur suggérant des demandes captieuses dans lesquelles l’accusé pouvait s’embarrasser, ou détournant au profit de l’accusation des mots arrachés par la douleur. On se refuserait à croire de telles infamies, si des textes contemporains n’en faisaient foi.

Studius avait commencé les interrogatoires, Optatus commença les supplices ; il fallait en effet, par la force, obtenir des aveux de gens qui avaient tout nié jusqu’alors. Un des premiers amenés de prison devant le préfet fut un jeune lecteur de l’église métropolitaine, attaché pendant quelque temps comme serviteur à la personne de l’archevêque. C’était un adolescent de mœurs douces, de complexion délicate et frêle, tout à fait semblable à une jeune fille, dont il portait au front la candeur virginale. On eût dit qu’il n’appartenait pas à ce monde, tant il lui paraissait étranger par la pureté de son âme et la faiblesse de son corps. Le juge voulut lui faire désigner l’archevêque Jean son maître et les amis de Jean, qui étaient aussi ses patrons, comme les auteurs de l’incendie de l’église, et Eutropius (c’était son nom) répondit qu’il ne savait rien de tout cela. Pour l’obliger de confesser qu’il le savait, le préfet le fit étendre sur