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donner carrière à l’élément génial de son esprit, il est retenu par des scrupules ; il se cramponne au modèle, il copie des articulations et des muscles qui ne sont pas toujours heureusement choisis ; la mièvrerie n’est point la grâce, la maigreur et l’élégance sont deux. M. Voillemot, qui s’est fait un certain nom comme décorateur en dehors des concours officiels, a voulu frapper un grand coup ; sa Velléda représente un effort louable. Le succès, comme il arrive souvent, n’a répondu qu’à demi. Si cette pâle et austère figure de la druidesse commande l’attention, elle se défend mal contre un examen sérieux ; le modelé paraît un peu vide, l’attache du col est faible, il y a de la rondeur et de la mollesse dans tous les nus, l’insuffisance des études premières se trahit en maint endroit ; cependant le mérite et le progrès sont hors de doute. M. Feyen-Perrin n’a rien gagné, ce me semble ; il a plutôt perdu. Son allégorie de la Voie lactée représente un chapelet de grosses filles rougeâtres et martelées dans un ciel noir. Cela n’est point la voie lactée, et cela n’est pas beau du tout. J’en suis désolé pour l’artiste, qui lutte depuis longtemps avec un vrai courage, et qui ne manque pas de certains dons naturels ; la direction lui a manqué trop tôt. Dans l’atelier d’un vrai maître, je ne dis pas d’un Louis David, mais simplement d’un Drolling, M. Feyen-Perrin serait devenu quelque chose. Y a-t-il encore des ateliers d’enseignement à Paris ? J’ai peur que non : le mètre de terrain coûte si cher depuis les merveilles de M. Haussmann que les restaurans seuls et les cafés peuvent louer un emplacement un peu vaste. L’Europe saura dans vingt ans ce que la transformation de Paris nous a coûté de génie et de gloire. L’Apollon exterminateur de M. Luc Olivier-Merson ressemble plus à un modèle couché qu’à un dieu ; mais c’est l’ouvrage d’un bon débutant qui aura peut-être dans trois mois le prix de Rome. M. Tony Faivre a exposé un joli plafond, frais et coquet, qui représente les Premières heures du jour.


IV

Le portrait est un terrain neutre où les peintres d’histoire coudoient les peintres de genre. Les uns viennent s’y reposer, les autres y arrivent par un louable effort. Quant aux paysagistes, ils n’y paraissent guère, et pour cause : sauf une ou deux exceptions, tous les paysagistes du jour sont de pauvres dessinateurs ; ni M. Corot, ni M. Daubigny, quels que soient leurs autres mérites, ne sauraient pourtraire une servante d’auberge. Le paysage, non certes celui qu’on admire chez Nicolas Poussin, mais celui dont les Parisiens se contentent aujourd’hui, est œuvre de sentiment, de goût, de