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compositions héroïques : grave erreur, les subtilités ne sont de mise que dans la peinture de genre. S’il est dans votre plan de suspendre Prométhée par les poignets de façon que tout son corps se présente de face, vous êtes libre ou de le faire absolument nu ou de cacher son sexe par un bout de draperie. — Mais, dit l’artiste après avoir longtemps cherché, si je rappelais que mon héros a dérobé le feu du ciel pour le livrer aux hommes ? Une torche allumée ferait l’affaire, et la fumée de cette torche, habilement dirigée, remplacerait la draperie ou la feuille de vigne… N’est-ce pas fort ingénieux ? — Oui, et d’autant plus sot, car la nouveauté du moyen force l’attention de s’arrêter sur un point qui, nu ou drapé, nous semblerait également négligeable et passerait inaperçu. Ces critiques ne prouvent pas que M. Bin soit sans mérite, mais il met son but trop haut. Il expose cette année même un assez bon et très agréable portrait d’homme.

Les deux grandes décorations de M. Puvis de Chavannes pour le nouveau musée de Marseille n’ajoutent ni n’ôtent rien à la réputation de l’artiste ; mais elles le montrent arrêté au milieu de son chemin et marquant le pas, comme on dit à l’armée. On se rappelle l’étonnement et le respect quasi religieux qui se manifestèrent dans le public devant la première œuvre de ce peintre. C’était, si j’ai bonne mémoire, une chasse traitée dans le goût antique et dans le style décoratif ; il s’est passé quelque dix ans depuis ce début, cette révélation, cette promesse, car enfin, si M. de Chavannes montrait des qualités fortes et rares comme la grandeur, la noblesse et la simplicité, son dessin trahissait une éducation incomplète. Le goût était assez fin pour satisfaire les plus délicats ; mais l’art manquait de science et de force : on résolut d’attendre, on ouvrit un large crédit à l’homme qui s’annonçait si bien, on espéra qu’il voudrait bien se compléter lui-même. Les expositions se sont suivies et par malheur se sont ressemblé. L’artiste n’a point cessé de produire, et ses œuvres, toujours considérables, suffiraient à la décoration d’un palais. Dispersées par le caprice des commandes, elles font bonne figure partout où elles sont ; mais il serait difficile, je crois, d’y constater une marche ascendante. Tel le peintre nous est apparu, tel il reste, et ses meilleurs amis commencent à désespérer d’un progrès qui leur semblait indispensable.

Voici deux toiles d’une importance exceptionnelle et d’un aspect qui n’a certes rien de vulgaire. L’une représente Massilia, colonie phocéenne, l’autre Marseille, porte de l’Orient. Le premier tableau pèche un peu par la composition ; le sujet est émietté, on cherche en vain sur le premier plan un groupe digne de fixer l’attention. Cette faute est peut-être voulue, il se peut que M. de Chavannes ait