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correct dans l’ensemble et dans le détail ; on se réjouit de penser que les Bordelais vont avoir leur plafond d’Apollon comme nous, et tous les hommes compétens déclarent que M. Bouguereau a dépensé sur cette toile une somme de travail, de savoir, de goût, de talent même. Nous n’avons pas beaucoup de peintres assez habiles pour faire aussi bien dans cette dimension ; l’œuvre contentera beaucoup de monde et ne choquera personne : si l’on me permettait d’en couper un mètre carré à mon choix, je ne saurais à quel morceau donner la préférence, car tous se valent, et je me retirerais probablement sans rien prendre.

L’Assomption de M. Bonnat indique un tempérament vigoureux qui se connaît, qui se possède, mais qui, loin de se modérer, s’exagère de parti-pris et se pousse lui-même à outrance. On dirait que l’artiste est moins préoccupé de son sujet que de l’effet à produire. Il s’agit bien en vérité de montrer l’ascension de la Vierge à quelques paroissiens de Bayonne ! L’important est de prouver aux peintres et aux critiques de Paris qu’on a du nerf et de l’audace, qu’on peut se mesurer avec l’école de Bologne et l’école de Naples, étreindre vaillamment Carrache et Ribeira. M. Bonnat n’évite ni les colorations fangeuses, ni les types vulgaires, ni les réalités prosaïques de la nature ; il les rechercherait plutôt. C’est un fils de famille qui descend dans la rue pour faire le coup de poing, mais qui conserve malgré tout, je dirais presque malgré lui, les grands airs de son élégance native et de sa belle éducation. Le mal est que la vierge de Bethléem paie les frais d’une si brillante escapade : ce déploiement de réalisme aurait été mieux à sa place dans tout autre sujet. Quant à M. Bonnat, s’il croit avoir trouvé sa voie définitive, il se trompe ; il a tenté une excursion hasardeuse, et il n’en revient pas amoindri. L’audace sied à la jeunesse.

C’est pourquoi le Juan Prim de M. Regnault ne me scandalise ni peu ni prou, et je n’ai garde de faire chorus avec ceux qui crient au jeune peintre : Arrêtez ! cela ne s’est jamais vu ! On n’entre pas dans le monde en cassant toutes les vitres ! Si vous vous déchaînez de la sorte à vingt ans, que ferez-vous à quarante ? — Eh ! messieurs, à quarante il se rangera comme tant d’autres. Ce général Prim à cheval, encadré dans un épisode de la révolution espagnole, est une page d’histoire. L’homme et la bête font un groupe héroïque du plus puissant effet : sur un barbe à tous crins qui semble échappé des haras de l’Apocalypse ou emprunté au char de Neptune, un homme jeune encore et de la plus mâle beauté s’avance pâle et frémissant, ivre de sa victoire, mais soucieux du lendemain, le front chargé de nuages, les lèvres serrées, l’œil fixe ; on lit sur son visage qu’il se sait responsable de tout, et qu’il prend le