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le client est prié s. v. p. de payer en servant. » La tasse de café, une sorte de jatte contenant la valeur d’un demi-litre, coûte quatre sous, est servie toute sucrée, sans petite cuiller, et s’appelle un noir. Le vin est apporté dans de lourds pots de grès, le vin chaud dans des saladiers d’étain qu’on peut, sans les casser, se jeter à la tête. Dans d’autres repaires, plus infimes encore, des tasses de fer sont scellées à la muraille par une chaîne ; on boit debout, car il n’y a ni bancs ni chaises ; d’une main on donne 10 centimes, de l’autre on tend la tasse, et une fille de service mafflue, grasse et vigoureuse verse à boire sans même faire attention aux paroles obscènes qu’on lui jette à l’oreille. Je me suis attablé dans tous ces cabarets ; j’ai suivi les voleurs dans les étapes du plaisir, comme je les suivrai plus tard dans les étapes de l’expiation, et je me demande ce qu’il y a de plus sinistre : est-ce le café élégant où les faiseurs viennent griffonner leurs fausses signatures ? est-ce la misérable cahute récrépie à la chaux où les voleurs s’entassent pour parler des hauts faits de la veille et des crimes du lendemain C’est la même misère morale sous des costumes différens, et je ne sais si la dernière n’est pas préférable, car du moins elle a pour elle d’agir à force franche, au grand jour et de haute lutte.

Pour beaucoup de voleurs, le café est un cabinet de lecture : vers trois heures de l’après-midi, ils vont dans une sorte d’estaminet établi au milieu d’une cour couverte où l’on a pu placer quatre billards ; là, tout en buvant de l’absinthe, ils lisent et commentent le Droit et la Gazette des Tribunaux pour étudier théoriquement le code, qu’ils vont très souvent, et comme simples spectateurs, étudier pratiquement à la cour d’assises. Aussi connaissent-ils autant que nul avocat les degrés de pénalité ; ils savent parfaitement d’avance les risques qu’ils ont à courir avec un vol simple ou avec un vol qualifié. Leur journée se passe à jouer, et là encore des divergences apparaissent : les voleurs à la tire jouent au piquet, les cambrioleurs jouent au billard ; les voleurs au rendez-moi, qui fréquentent un café spécial, jouent au trictrac. Ces classifications ne sont pas absolues ; mais elles ont quelque chose de général qui s’impose à l’observation. Il n’est pas besoin de dire que tout le monde triche, les voleurs ne jouent jamais à l’écarté, parce que celui qui donne le premier gagne forcement, puisque dès la première passe il fait trois points : le roi et la vole. J’ai vu là des enfans de quinze ou seize ans, impudens et gouailleurs, qui maniaient les cartes avec l’aplomb d’un vieux croupier et jouaient le piquet à écrire avec une perfection désespérante.

Il existe sur un large boulevard dégageant une gare de chemin de fer un café qui a des dehors assez respectables. On entre dans