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sombres, qu’elles ressemblent à des égouts coulant à ciel ouvert. Le soleil n’est jamais parvenu à y pénétrer ; les murailles hautes, ventrues et fendillées paraissent osciller sous le poids de cinq étages ; elles se dressent, bossuées, verdâtres, exhalant une insupportable odeur de salpêtre humide, montrant des loques à chaque fenêtre. De chaque côté de ces sortes d’ornières, où il serait impossible d’appliquer un trottoir, des marchands de vieille ferraille, d’habits sordides, de chiffons empestés, de verres cassés, de tonneaux crevés, gîtent sous des hangars plus semblables à des tects à porcs qu’à des habitations humaines. Çà et là surgissent quelques auberges de mine sinistre, portant sur une enseigne où l’orthographe boite à chaque mot cette inscription : ici on loge à la nuit. Dans les ruisseaux ou sur les tas d’ordures, les enfans à demi nus jouent avec les chiens galeux ; d’une maison à l’autre, on s’interpelle, on se dispute ; s’il y a un cabaret, on y entend des cris ; des femmes ivres, poursuivies par les huées des gamins, battent les bornes en se traînant aux murs ; la biographie des habitans, de la plupart, sinon de tous, est écrite sur les livres d’écrou des prisons ; si un locataire manque dans une de ces masures, on ne s’en inquiète guère, on sait où il est : au dépôt, à Mazas, à la Roquette, à Clairvaux, à Toulon, à Cayenne. Tout ce monde se connaît, se tutoie, se grise, se bat, et lorsqu’un sergent de ville passe, chacun affecte un air indifférent. C’est une honte pour le Paris moderne de renfermer encore de telles cours des miracles ; ne serait-il pas temps de les faire disparaître, et ne rendrait-on pas un grand service à la population en jetant bas les rues de Venise, des Filles-Dieu, Sainte-Marguerite-Saint-Antoine, la rue des Anglais et quelques autres ?

Ce sont là des exceptions, il faut l’avouer ; aussi le clan des voleurs s’est-il porté en masse du côté des anciennes barrières, dans ces quartiers nouvellement annexés et qui semblent n’avoir encore avec l’ancien Paris qu’une attache exclusivement administrative. Là ils se réunissent dans quelques cabarets où ils sont certains de pouvoir se rencontrer et se concerter pour les mauvais coups qu’ils méditent. C’est vers les barrières d’Italie, des Deux-Moulins, de Fontainebleau, du Mont-Parnasse, du Maine, de l’École-Militaire, que ces tapis-francs ouvrent leurs portes hospitalières à tous les bandits. Tel marchand de vin a ses relations établies de longue date avec les braconniers, tel autre avec les casseurs de portes, tel autre avec les cambrioleurs. Il y a là échange de bons procédés, recel, indications. Il est rare que ces bouges n’aient pas plusieurs issues, parfois si bien dissimulées qu’il faut quelque sagacité pour les découvrir. Sur la muraille, on lit des inscriptions du genre de celle-ci, que je cite textuellement : « pour éviter les contestations,