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soleil se lève et a dormi une partie de la journée, cuvant son ivresse ou alourdi par la fatigue de la veille. Il est par-dessus tout, comme les félins avec lesquels il a tant de points de ressemblance, un animal nocturne ; aussi aime-t-il à dire en plaisantant qu’il appartient à l’ordre des gentilshommes de la nuit. Chaque catégorie de voleurs fréquente des lieux particuliers : les voleurs au rendez-moi rougiraient de frayer avec les roulotiers, qui ne se soucient guère de se trouver en compagnie des caroubleurs. Si les mœurs générales sont les mêmes, si l’absence de moralité est identique, les habitudes, les relations, sont différentes. Jadis les voleurs de toute sorte recherchaient le centre de Paris ; ils trouvaient là des réduits obscurs, des abris certains, des maisons à triple sortie, des plaisirs faciles et leur grande alliée, la prostitution. — C’était dans les rues tortueuses de la Cité, dans ce chapelet de ruelles infectes et mal fréquentées qui serpentaient entre le Palais-Royal et le Louvre, dans les bas quartiers du Temple, qu’ils avaient établi leurs refuges. Il n’était pas toujours prudent de pénétrer dans ces bouges, et plus d’une fois les patrouilles grises en furent chassées à coups de bouteilles, de brocs et de tabourets. Tout malfaiteur inquiété se sauvait dans les tapis-francs de la rue aux Fèves, de la rue du Haut-des-Ursins, de l’impasse Saint-Martial, sentiers boueux et empoisonnés groupés autour de Notre-Dame, dans le café de l’Épi-scié, situé boulevard du Temple, à l’estaminet des Quatre-Billards, rue de Bondy, au cabaret des Philosophes, dit aussi le cabaret de l’Homme buté (assassiné), rue Croix-des-Petits-Champs, à l’hôtel d’Angleterre, rue de Chartres, dans les débits interlopes de la rue Froidmanteau et de la rue du Chantre, dans les repoussans garnis de la place aux Veaux, de la rue de la Vieille-Lanterne et de la Petite-Pologne. Ces repaires ont disparu, emportant peut-être avec eux les regrets des amateurs de pittoresque quand même, mais laissant à leur place des squares, des voies spacieuses, des boulevards salubres. En éventrant ces vieux pâtés de maisons, où la vermine disputait le logis aux voleurs, en démêlant à coups de pioche ces écheveaux de ruelles malsaines, en y faisant violemment entrer l’air et le soleil, on n’a pas seulement apporté la santé à ces quartiers misérables, on les a moralisés, car on en a chassé les malfaiteurs que le grand jour épouvante, et qui ne trouvent plus à se cacher dans les vastes espaces où se dressaient autrefois leurs taudis lézardés. Partout cependant, au milieu de ces anciens quartiers où les démolisseurs n’ont pas encore pu entreprendre leur travail d’assainissement et d’épuration, le crime sait se faufiler et s’abriter. Il existe encore malheureusement, dans le centre même de Paris, dans la région commerciale, des rues si étroites, si sales, si