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conviaient à un crime, les avez-vous accompagnés ? il répondit : — Dame ! entre voisins, il faut bien se rendre de petits services ! »

Cette étude sur les différentes espèces de voleurs ne serait point complète, si je ne disais un mot des nourrisseurs. De même qu’il y a des hommes d’affaires qui connaissent les fonds de commerce, les maisons à vendre, et les indiquent aux acheteurs moyennant une prime proportionnelle, de même il existe des voleurs timides ou vieillis, d’anciens praticiens retirés de la vie active, qui mettent leur expérience au service des gens hardis. Ceux-là combinent une affaire, la préparent, en soupèsent les chances bonnes ou mauvaises, la nourrissent, selon leur expression, et quand elle est mûre, ils la cèdent, soit à prix débattu, soit en échange d’une part dans les futurs bénéfices. Ce sont en général les vieux receleurs qui font ce métier, parfois assez lucratif, mais qui n’est point sans péril, car celui qui a conseillé et prémédité le crime s’assied à la cour d’assises sur les mêmes bancs que celui qui l’a commis. Tous ces mauvais gars, escrocs, filous, meurtriers, ne s’adressent presque jamais qu’aux honnêtes gens ; mais il est une catégorie de voleurs toute particulière qui s’attaque spécialement aux voleurs : ce sont les fileurs. Aux aguets de tous les méchans projets qui s’agitent, écoutant et regardant chaque personnage de ce monde néfaste dans la familiarité duquel ils vivent, provoquant les confidences et surveillant toute action entreprise, ils s’efforcent de surprendre les malfaiteurs en flagrant délit, et lorsqu’ils y réussissent, ils interviennent en disant : « Part à deux, ou je casse sur toi (ou je te dénonce). » Le filé a beau regimber, faire appel aux sentimens d’honneur, parler de vengeance, promettre une association pour une affaire prochaine et fructueuse ; le fileur tient bon, exige sa part, l’obtient, et va chercher ailleurs une nouvelle aubaine. Un fait digne de remarque : les voleurs juifs excellent à filer les voleurs chrétiens ; mais ils ne se filent jamais entre eux.


III

Le voleur est digne du nom qu’il porte en argot : il est fainéant par excellence. S’il travaille, au vrai sens du mot, ce n’est que par exception, lorsqu’il est traqué de trop près par la police, qu’il veut donner le change, ou que, réduit aux abois par une série de mauvaises opérations successives, il ne sait plus où donner du front. Ce n’est donc ni au chantier ni à l’atelier qu’il faut aller pour le voir dans la libre manifestation de ses penchans, c’est dans les tapis-francs, les cabarets borgnes, les bals de barrières. Il n’y apparaît ordinairement que fort tard ; il s’est couché vers l’heure où le