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sentons instinctivement à son aspect, car il ne nous paraît aussi laid que parce qu’il nous ressemble trop et nous offre comme la caricature de l’être humain. Cependant on ne prétend pas que l’homme descende uniquement du singe ; mais le moule simiesque est « le dernier moule que l’homme a brisé, la dernière enveloppe qu’il a dépouillée, la larve d’où est sortie cette figure, la plus belle de toutes. » Ainsi l’homme est jusqu’ici la dernière et la plus parfaite floraison de la vie animale. Il n’est pas moins, mais il n’est pas davantage.

En lisant ces assertions si nettes, on tremble que le savant naturaliste n’aboutisse au matérialisme pur. Pas du tout ; il déclare catégoriquement que les matérialistes sont dans l’erreur. Suivez-le jusqu’à la fin ; il vous dira que l’animal a une âme, moins active seulement que celle de l’homme et moins capable de s’épanouir au souffle de l’éducation. Quant à l’homme lui-même, dont l’histoire se confond dans le passé avec celle de l’animal, qu’il s’en console et qu’il espère. Sa dignité n’a point à en souffrir. Sa grandeur n’en reçoit nulle atteinte. Ce qui lui importe uniquement, c’est qu’à l’heure présente il est, par son corps et par son âme, supérieur à la longue série de ses ancêtres. D’ailleurs cette existence antérieure, de moins en moins animale, qui a graduellement produit sa constitution actuelle, lui garantit une vie future dont celle-ci est l’élaboration. Il porte en son esprit un idéal qui dépasse sa nature. Cet idéal, il cherche sans cesse à l’atteindre, et il en approche réellement. L’âge d’or est devant lui ; c’est la nature qui le lui annonce, et « dans la nature c’est Dieu lui-même qui élève la voix. »

Voilà certes qui surprendra et peut-être troublera un peu ceux qui avaient attendu de la doctrine darwinienne de tout autres conclusions. Qui l’eût prévu en effet ? Non-seulement cet étrange défenseur du darwinisme enseigne avec éclat l’existence de Dieu et celle de l’âme, mais entre ses mains la doctrine de l’évolution devient un moyen scientifique et original de démontrer que nous jouirons d’une suite d’existences de plus en plus heureuses. Au nom de la méthode empirique, il promet à notre pauvre race une félicité qu’il dépend d’elle de conquérir par le travail intellectuel. Quoi de plus idéaliste et quoi de plus nouveau ?

De quelque côté que je regarde dans le champ de l’histoire naturelle, je rencontre donc des amis déclarés ou involontaires des choses métaphysiques. Il y a plus : l’idéalisme scientifique, tant celui des chimistes que celui des naturalistes, se présente avec des conceptions nouvelles pleines d’intérêt et d’ampleur. Quelle est maintenant la valeur de cette philosophie qui jaillit du cœur des sciences rajeunies ? A-t-elle des adhérens parmi les penseurs de