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de quel principe la zoologie transporte-t-elle dans la bête ce qu’elle n’a saisi qu’en nous ? C’est, dit-elle, qu’il est légitime de rapporter les mêmes faits à des causes semblables. D’accord : seulement ce principe, si évident que l’on ne peut s’abstenir de l’appliquer, dépasse de mille lieues la portée et l’horizon de l’histoire naturelle. C’est un axiome idéaliste.

Nous en dirons autant du suivant, invoqué sans l’ombre d’hésitation par la zoologie : ce qui sent et veut dans l’animal est une seule et même chose ; là où est présumée l’individualité, là aussi doit être présumée l’unité de la force. — La formule est excellente ; Leibniz et Jouffroy n’auraient pas mieux dit. Cependant, qu’on y prenne garde, l’individualité est le trait caractéristique d’une substance simple, mais simple au point de ne comporter aucune division, non pas même la division par la pensée. Cherchez où vous voudrez une telle substance au sein du monde physique, vous perdrez votre temps. Repliez-vous au contraire une seule minute sur vous-même, vous verrez face à face cette réalité intérieure. Le naturaliste trouve et prend l’idée d’individualité à la même source que l’idée de volonté. Quand il conçoit l’animal invisible à l’image de l’homme intérieur, il fait, ne lui en déplaise, non plus acte de zoologiste, mais acte de métaphysicien, comme le chimiste quand celui-ci conçoit et affirme l’atome indivisible.

L’animal une fois distingué de la plante et des corps inorganiques, il reste à savoir si l’homme est par essence distinct de l’animal. À ce point de la discussion, l’intérêt redouble. Ne suis-je qu’un mammifère d’un rang élevé, suis-je l’un des citoyens d’un monde où l’animal n’aura jamais droit de cité ? Pour savoir s’il y a ce qu’elle nomme un règne humain, l’anthropologie commence par éliminer l’un après l’autre tous les phénomènes qu’elle observe à la fois chez les animaux et chez l’homme. Où cherchera-t-elle les traits nouveaux qui impriment à l’humanité la marque significative d’un genre distinct ? Sera-ce dans l’anatomie ? Non, tous les grands appareils qui fonctionnent dans le corps de l’homme se voient aussi dans l’organisation de la plupart des animaux, au point de présenter une identité de composition qui se constate os par os, muscle par muscle, nerf par nerf. Aurons-nous recours à la physiologie ? Pas davantage ; là où les organes sont semblables et composés. de semblables élémens, nulle différence dans les fonctions. Fera-t-on valoir la noblesse de la station verticale chantée par la poésie comme l’un des privilèges de l’humanité ? Certains singes vont sur deux pieds, et, parmi les oiseaux, le grand manchot et une race particulière de canards domestiques ont la même façon de marcher et de se tenir. Ce sera donc aux facultés intellectuelles que l’homme se reconnaîtra éminemment ? Ouï, si l’intelligence n’était