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que c’est à la lettre une voile présentée par l’animal au souffle du vent. Il range dans deux espèces séparées le mâle et la femelle de certains poissons, très différens d’aspect, mais de même famille. Pour éviter ces méprises, il faut regarder de fort près les formes extérieures. En même temps qu’elle révèle les dissemblances les plus délicates, l’analyse de la structure fait éclater l’harmonie des ressemblances. Elle met en vive lumière cette unité de plan qui, d’un pôle à l’autre, sous tous les méridiens, relie entre eux les poissons, les oiseaux, les reptiles, les mammifères. Ces mérites sont à coup sûr considérables, la méthode extérieure ou matérielle les possède au plus haut degré ; mais elle est entachée d’un défaut qui, lorsqu’on l’emploie exclusivement, en fait disparaître les avantages : elle n’observe et ne décrit qu’un seul côté des êtres vivans.

Ceux-ci ont une autre face aussi réelle que physiquement insaisissable. Sous les formes habilement conservées dans les collections zoologiques, quelque chose souffrait, jouissait, frémissait autrefois de colère ou d’amour. Voilà bien l’aile diaprée du papillon, la gorge étincelante du colibri, le fauve pelage du tigre ; l’animal visible est là, l’animal invisible n’y est plus. Il a vécu pourtant. Au XVIIe siècle, les grands cartésiens en ont autrement jugé. Ils ont cru que les animaux ne sont que des machines plus ou moins perfectionnées, et ils ont voulu le faire croire ; mais ils n’y ont pas réussi. La Fontaine, qui se connaissait en bêtes, et Mme de Sévigné, qui savait bien un peu ce que c’est que l’esprit, furent au premier rang parmi les défenseurs de l’esprit des bêtes. Le XVIIIe siècle partagea leur avis, et, plus épris de la nature, il ouvrit sur l’organisation des animaux de véritables perspectives psychologiques. Réaumur et Rösel ont marché dans cette voie. Buffon y a marqué son passage par des traces brillantes et ineffaçables. Il eût fallu suivre ces exemples, sauf à coordonner plus fortement les observations et à en tirer les conséquences dont elles étaient grosses. Au siècle présent, Audubon en Amérique, Naumann en Allemagne, Frédéric Cuvier et plus récemment MM. Milne Edwards et Ém. Blanchard en France, ont prouvé combien serait attachant et utile au progrès de l’histoire naturelle un vaste ensemble de monographies psychologiques sur les diverses espèces animales.

Il y a plus, et c’est là une vue dont M. Agassiz aura eu l’honneur de mettre l’importance hors de doute, la psychologie est l’un des plus sûrs moyens, sinon le meilleur, de déterminer d’une façon certaine les caractères distinctifs des genres et des espèces. Ressemblances et dissemblances apparaissent à cette lumière plus nettes, plus saillantes que jamais. A la vérité, pour faire porter tous ses fruits à cette féconde méthode, ce ne serait pas assez d’observer