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n’atteignent pas. Que la chimie s’allie avec la philosophie, on le conçoit. La forte unité que lui prête la théorie l’empêche de se résoudre en une maigre nomenclature de formules et de faits. En outre, des hauteurs où l’élèvent les principes, elle domine et gouverne les applications et la pratique au lieu de s’y asservir ; mais qu’importent les idées, les principes, les causes, au naturaliste, dont l’ambition discrète n’a point à s’inquiéter du pourquoi des choses ?

N’est-il point satisfait quand il a su retrouver et dépeindre l’ordre vivant de l’univers ? Il est vrai, le naturaliste n’explique pas. Le but unique de ses efforts est de classer, c’est-à-dire de découvrir et de marquer au juste la place que chaque espèce d’êtres occupe dans la hiérarchie universelle. Toutefois classer n’est pas une tâche à laquelle le travail de l’expérience suffise absolument. Déjà quatre cents ans avant notre ère, l’auteur du Philèbe et du Sophiste, le maître du naturaliste de génie qui a écrit l’Histoire des animaux, enseignait que l’art des classifications est un don tout à fait divin. Sans diviniser ni Linné, ni Cuvier, ni les deux Geoffroy Saint-Hilaire, on doit avouer que déterminer les caractères génériques et spécifiques des corps bruts, des plantes et des animaux, est l’une des entreprises les plus ardues de la science. D’éminens esprits y ont échoué ou n’y ont qu’imparfaitement réussi. La science actuelle en connaît la raison. Ils ont tenu trop grand compte des caractères visibles et négligé ces traits profonds que la philosophie seule sait aller saisir sous les apparences. La considération exclusive de la structure les a souvent trompés : elle abuse encore aujourd’hui leurs successeurs. Ne se fier qu’à la forme extérieure, c’est ressembler à un sculpteur qui, pour faire un buste, se bornerait à pratiquer un moulage sur le vif, et ne reproduirait la figure qu’en éteignant le regard et en pétrifiant la physionomie.

Dans son livre sur l’Espèce et les classifications, M. Agassiz a exposé avec beaucoup d’autorité les mérites et les défauts de ce procédé, dont le vrai nom serait celui de méthode extérieure. Évidemment le naturaliste ne peut se passer d’une étude attentive de la structure. La connaissance approfondie des linéamens de l’organisation tant végétale qu’animale lui est indispensable. S’il ne l’a pas envisagée sous tous ses aspects, il tombe dans une foule d’erreurs et de confusions. Égaré par de trompeuses ressemblances, l’observateur emploie le même terme d’ailes ou de pattes pour désigner les appendices locomoteurs des oiseaux et des insectes que distinguent pourtant d’essentielles différences. Il continue d’appeler poumons les cavités respiratoires des limaces tout comme les voies aériennes des mammifères, des oiseaux et des reptiles. Il prend l’organe caractéristique du poisson volant pour une aile, tandis