Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à un seul de ses atomes quatre atomes d’un autre corps. C’est ce qu’on exprime d’une autre manière en disant que le carbone a quatre atomicités. M. Kékulé en était venu là en observant que, dans les corps organiques les plus simples, un atome de carbone est toujours uni à une somme d’élémens équivalente à quatre atomes d’hydrogène. Ainsi la molécule du gaz des marais, qui se compose d’un atome de carbone et de quatre atomes d’hydrogène, est tétratomique. On en conclut qu’elle peut être figurée par une croix grecque. L’atome de carbone occupe le centre de la croix et les atomes d’hydrogène sont placés aux extrémités des quatre bras. Cette figure ingénieuse a été présentée avec beaucoup d’autres par M. H. W. Hoffmann à ses auditeurs dans une leçon publique faite à l’Institution royale de Londres. Cet exemple très simple suffit pour expliquer comment les chimistes passent de l’atomicité à la structure moléculaire ; mais on parvient à décrire des molécules bien autrement complexes. Il y en a d’inachevées dont certaines atomicités demeurées disponibles attendent encore l’atome ou les atomes qu’elles exigent pour être saturées. Il y en a qui forment une longue chaîne aux nombreux anneaux rivés l’un à l’autre par la force de combinaison. D’autres ont un noyau entouré d’un premier cercle d’atomes auxquels d’autres atomes s’attachent comme autant d’appendices, et dans ces systèmes moléculaires le groupement des particules élémentaires est souvent déterminé d’une façon nécessaire par le nombre et l’énergie propre des atomes.

Cette reconstruction de l’architecture moléculaire au moyen des indications fournies par l’atomicité est intéressante à étudier. Le savant y déploie une sorte de pouvoir créateur. En cherchant à percer les voiles sous lesquels se cache l’organisme de la molécule, il mêle malgré lui je ne sais quelle fantaisie poétique à l’exactitude des expériences et à la rigueur des formules. Est-il besoin de dire pourquoi ? Ici encore une fois, le chimiste chemine dans les sentiers mystérieux de l’invisible. En elle-même et par les notions qui la préparent, la construction de la molécule est une opération essentiellement idéale. Pas plus que l’atome, pas plus que la molécule elle-même, l’arrangement des particules élémentaires n’est saisi par l’observation. Conséquence de prémisses purement idéales, la conception de cette structure a le même caractère que les notions d’où elle dérive.

Il est aisé maintenant de mesurer l’importance philosophique de la théorie atomique. Le rôle que les chimistes attribuent à cette théorie est considérable. Affinité et atomicité, dit M. Würtz, telles sont les deux manifestations de la force qui réside dans les atomes, et cette hypothèse forme aujourd’hui la base assurée de notre système de connaissances chimiques. — Certes on ne parlerait pas en