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Pour juger à quel point l’atome, indivisible ou non, est en dehors et au-delà de l’expérience, il faut considérer les attributs qui lui sont conférés par les chimistes qui en font la base de leurs théories. Certes, de cette particule élémentaire je ne dis pas que c’est un être vivant. Je ne puis consentir pourtant à n’y voir qu’un élément inerte, car il se meut, e pur si muove, et qui plus est, il meut. Entre la vie, si riche en énergies diverses, même à son plus bas degré, et l’inertie, si pauvre qu’elle en est réduite à tout recevoir du dehors, il y a un milieu. Ce milieu, cet intermédiaire trop souvent méconnu, c’est la force, dont le caractère est d’être capable d’action, tout en restant dépourvue de conscience, de sentiment, de pensée, de liberté. Cette force, insensible, aveugle, fatale, mais non pas inerte, elle entoure, presse, menace ou sauve ceux qui s’obstinent à la nier. C’est l’oxygène qui brûle, le sel qui dissout, le curare qui tue. Brûler, dissoudre, tuer, serait-ce donc être inerte ? Il suffit de constater quant à présent que l’atome est regardé par la plupart des chimistes comme doué, au moins hypothétiquement, d’une certaine énergie active qu’on nomme l’affinité.

Parmi ceux-là mêmes qui emploient incessamment ce mot d’affinité, il y en a qui ont coutume de ne le regarder que comme une sorte de signe algébrique remplaçant dans le discours quelque chose d’absolument inconnu. Ils se trompent en cela, et les philosophes ont le droit de relever cette erreur. Non, le mot d’affinité n’est point une expression inintelligible. Sans avoir le génie de Goethe, qui l’a pris pour titre d’un de ses plus curieux ouvrages, on comprend que ce terme désigne la faculté d’attirer, d’être attiré et de tendre fortement à s’unir avec ce qui attire. Quand on veut expliquer par analogie la vertu de ce magnétique attrait, on le compare naturellement à l’amour, qui, lui aussi (chacun le sait, l’a su ou le saura), est une puissance d’attirer, d’être attiré et de s’unir. N’en croyez donc pas tout à fait les savans qui prétendent ignorer entièrement ce que c’est que l’affinité. Ce qu’il y a de vrai dans leurs affirmations restrictives, c’est que la science n’a jamais aperçu l’affinité parmi les objets qu’observent les sens. Oui, cette force est invisible, impalpable. C’est un de ces moteurs qui animent l’univers au point que pas une parcelle de matière n’y demeure une seconde dans l’immobilité. Ces moteurs, qui les a vus ? Personne ; cependant tout le monde y croit, en parle et s’en fait une idée. D’après quel type ? D’après notre âme évidemment, qui est un moteur, mais un moteur qui se voit lui-même et que les yeux du corps n’ont jamais seulement entrevu.

On ne se contente pas d’attribuer à l’atome invisible l’affinité, non moins invisible que lui. D’après la chimie, non-seulement l’atome attire et fixe l’atome, il a en outre le pouvoir supérieur de choisir le nombre et la qualité des atomes auxquels il s’associe. Les faits