Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/606

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forme la raison. C’est travailler à cette science supérieure qui répand les clartés idéales sur la confuse réalité. Ceux-là y travaillent qui conçoivent et affirment l’atome d’éther dans les vibrations lumineuses, l’atome chimique au sein de la molécule de l’or et du cristal, l’âme sous le tissu de la plante, l’esprit dans les volontés de l’animal. Le philosophe ne mérite son nom qu’à la condition de démontrer ces conceptions diverses et d’en former une interprétation plus ou moins complète de l’univers. Alors la nature apparaît, grâce à lui, non plus comme une énigme indéchiffrable, mais comme une œuvre admirablement intelligible. La science qu’il édifie ainsi, c’est, depuis plus de vingt siècles, la métaphysique. De modernes savans, — MM. Berthelot et Laugel entre autres, — l’appellent la science idéale. Le nom de philosophie idéaliste de la nature est peut-être celui qui lui convient le mieux.

Dans ces dernières années, le crédit de cette science des causes a paru gravement compromis. De tous les points de l’horizon, des ennemis se sont levés contre elle. Cet assaut général était de nature à ébranler les convictions les plus éprouvées. Cependant les vétérans de cette philosophie française qui prend pour point de départ l’observation de l’homme intérieur sont restés fidèles à l’esprit qui depuis cinquante ans soutient et anime leurs études. Ils se séparent sur certains points sans doute, et il faut se réjouir de ces divergences, car la science en tirera profit ; mais le fait certain et capital, c’est que durant la récente crise philosophique aucun penseur se rattachant de près ou de loin au grand mouvement de 1818 n’a renoncé à l’interprétation métaphysique de la nature.

Expliquer cette constance par l’entêtement ou par l’esprit de routine, ce serait faire à ces penseurs consciencieux et convaincus une injure gratuite. Leur ferme attitude a de tout autres causes. Ils se sont dit d’abord que la vérité expérimentale et la vérité rationnelle n’étant après tout qu’une même chose, elles devaient tôt ou tard se confirmer réciproquement ; puis, suivant avec attention le prodigieux mouvement scientifique de l’époque présente, ils se sont assurés que beaucoup de savans, par leurs tendances philosophiques, n’ont cessé de justifier et justifient chaque jour davantage les espérances des métaphysiciens. La science moderne, je dis plus, la science actuelle, s’appuie sur un ensemble de conceptions idéalistes affirmées ou supposées. Ces conceptions, pour la plupart, sont celles auxquelles aboutit le spiritualisme ; mais voici qui est plus curieux : les sciences positives se montrent parfois sur les questions capitales plus hardies, plus avancées, plus téméraires que pas une doctrine philosophique. C’est à tel point qu’en ce moment même elles hasardent un idéalisme vraiment nouveau, que les