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de part qu’on ne le dit ; en réalité, la Ronde de nuit n’est que le chef-d’œuvre de ce genre de peinture nationale et quasi officielle que nous avons vu représenté par van der Helst et Franz Hals. Comme sentiment, la Ronde de nuit a une portée morale sérieuse : c’est une page patriotique. Là respire l’enivrement de l’indépendance, là s’agite la turbulence de la liberté conquise, dont la lune de miel n’est pas encore achevée ; là retentissent, avec les joyeuses détonations des mousquets, les hourrahs plus joyeux encore de braves gens tout heureux d’être maîtres chez eux. Quiconque veut savoir ce que fut le sentiment de la liberté dans son âge d’or en Hollande doit s’adresser à la Ronde de nuit, il y vit, protégé à jamais par la magie lumineuse de Rembrandt. La liberté passe, le sentiment de la liberté s’efface ; mais la lumière, le clair-obscur et la protection du génie sont éternels, et c’est pourquoi la Ronde de nuit conservera le souvenir de la liberté hollandaise, peut-être par-delà l’existence de la Hollande. Si la Hollande perdait un jour son indépendance, si jamais par exemple elle était soumise au régime de la caserne prussienne et à la discipline d’une landwehr solidement organisée, j’imagine que bien souvent plus d’un Hollandais s’arrêterait pensif et dirait en soupirant devant la Ronde de nuit : « Ah ! que nos pères avaient donc une manière de faire l’exercice plus amusante que la nôtre ! C’était plaisir de marcher en patrouille avec cet entrain, et de protéger l’ordre avec un si gai désordre. C’était le bon temps, c’étaient là les jours du consulat de Plancus, et si les théories modernes nous disent qu’elles connaissent une liberté préférable à celle qui s’agite dans ce chef-d’œuvre de notre Rembrandt, à cette bonne et franche liberté municipale qui consiste à être maître chez soi, les théories modernes en ont menti, car cette liberté n’est pas seulement la vraie, c’est la seule, et en tout cas c’est la plus gaie. » Si jamais les Hollandais se sentent menacés dans leur indépendance, je leur conseille de bien vite fonder un parti de résistance qui prendrait pour nom de guerre le parti des principes de la Ronde de nuit ; on saurait tout de suite ce que cela veut dire, car il n’y a pas au monde de principes plus simples et plus clairs.


IV. — Utrecht. — Le cimetière des Moraves à Zeist

Nous ne nous arrêterons pas à Amsterdam ; nous avons dit d’avance en parlant des autres cités de Hollande, tout ce que nous avions à noter sur cette ville, l’originalité de sa physionomie, l’élégance majestueuse et la profondeur de perspective de ses quais, l’indiscipline architecturale de ses demeures, la mélancolique beauté de ses