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apprennent qu’avant le chef-d’œuvre du maître il y avait eu nombre de travaux analogues exécutés pour la corporation des chirurgiens d’Amsterdam. Ce genre de peinture a deux défauts qu’il est à peine besoin d’expliquer au lecteur : le premier, c’est qu’il n’amuse qu’un instant ; le second, c’est que le mérite en est avant tout un mérite de métier, et qu’il n’y faut pas chercher autre chose que les qualités de main du peintre. Si tel tableau attire et accapare votre attention, il en faut faire exclusivement honneur à l’artiste, le modèle n’y est pour rien. Il semblerait que ces tableaux dussent avoir une importance historique et ouvrir à l’imagination les portes de la poésie du passé ; en aucune façon. Ces personnages ont beau être éloignés de deux siècles, comme ce sont, après tout, les premiers venus qui ont posé, ils n’ont pas plus de choses à vous dire que ne vous en dirait aujourd’hui le premier passant accosté au hasard. Nulle forte vie morale ne se lit sur ces visages qui parlent tous uniformément d’une existence honnête et modérée, bien régulière, absorbée par des affaires qui, même de leur temps, n’eurent aucune sérieuse portée pour leurs contemporains. Ces personnages ont monté leur garde, fait quelques règlemens administratifs, distribué des secours aux indigens, présidé les repas et les réunions des corporations auxquelles ils appartenaient. Tout cela est parfaitement honorable, se dit-on devant ces énormes toiles, mais qu’est-ce que tout cela me fait ? et comme le portrait de Cartouche ou de la Brinvilliers aurait plus de chance de m’intéresser ! On se demande vraiment d’où a pu venir à ces bourgeoises personnes l’audace de se présenter devant la postérité vêtues de noir de pied en cap, et de croire qu’elles avaient chance de l’intéresser sans avoir seulement brûlé et rasé une pauvre ville, ou commis quelque action de violence d’un beau caractère et d’un intérêt romanesque… Mais quoi ! plus on regarde ces visages, moins on y découvre de capacité pour la violence et la passion ; nul ne vous dit : Prenez garde, une âme redoutable est cachée derrière les fenêtres de ces yeux ; aucun ne se laisse soupçonner d’un crime ou d’une espièglerie robuste. Eh ! que faire de tous ces gens-là ? Il n’y en a pas un seul qui serait capable de violer Lucrèce ou d’assassiner Clarisse Harlowe. Ajoutez que la plupart du temps la beauté des modèles ne rachetait en rien cette absence d’intérêt poétique. Quelquefois même ces personnages, mieux conseillés, auraient compris qu’ils avaient de sérieuses raisons de ne pas se faire peindre. Certains de ces tableaux sont de véritables caricatures ; dans le nombre, j’indique surtout les Régentes de la maison du Saint-Esprit, de Pierre Anraadt, qui se voit à l’entrée de l’hôtel de ville de Harlem ; la déférence que l’on doit aux personnes du sexe féminin, même lorsqu’elles sont douées