Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« des revendications impitoyables, » ou, comme M. Bancel, que « la démocratie est défiante et doit refuser les présens d’Artaxercès. » Ce ne sont là que des mots. La protestation radicale, absolue, « l’opposition irréconciliable » n’a qu’une forme, l’abstention, quand on n’est pas décidé à recourir aux moyens héroïques de l’insurrection, et, si l’abstention n’est pas le mode le plus efficace d’action politique, c’est du moins un refuge pour la dignité et la fidélité de certains hommes. Le jour où l’on a cessé de s’abstenir, où l’on s’est plié aux conditions d’un régime public, où l’on a prêté un serment, ce jour-là on a mis le pied sur le terrain des faits accomplis, on a plus ou moins accepté les présens d’Artaxercès, on n’est plus dans l’opposition irréconciliable, puisqu’on a invoqué les bénéfices d’une légalité politique existante. On a beau faire, on est obligé de transiger avec une situation, on est enveloppé de toutes parts, et ce serait bien plus sensible encore, si ces jeunes adeptes de l’opposition irréconciliable et des impitoyables revendications entraient au corps législatif. Ils sont bien superbes, et ils ne feraient pas plus que n’ont fait leurs devanciers. Ils parleraient, ils s’emporteraient, ils proposeraient de démolir toutes les lois ou de rétablir la république ; ils seraient arrêtés par le président, et ils finiraient bientôt par reconnaître que la parole a d’autant plus d’autorité, pour aider aux véritables réformes, qu’elle sait mieux se modérer elle-même. Le seul député de Paris qui a jusqu’ici l’heureux privilège de n’avoir aucun concurrent et qui mérite cette exceptionnelle fortune par la fermeté de son bon sens autant que par la vivacité indépendante de son esprit, M. Picard, a donné l’autre jour dans une réunion publique une plaisante leçon à ces foudres de guerre. On l’accusait, lui aussi, de n’être pas assez violent, d’être trop parlementaire, et on se mettait déjà en devoir de lui montrer comment il fallait manier la parole, lorsque le professeur d’éloquence démocratique, à peine au début de son discours, a été brusquement arrêté par le commissaire de police. « Vous voyez, a dit le spirituel député de Paris, qu’il y a des manières de dire les choses. » Et du coup M. Picard a été porté en triomphe. Tout ceci prouve en définitive que la démocratie radicale est assez mal inspirée quand elle croit emporter tout d’assaut, qu’elle est placée dans cette alternative de se rendre impossible par des protestations inutiles, si elle va jusqu’au bout de ses paroles révolutionnaires, ou de se faire simplement libérale, si elle veut rester dans le vrai pratique, de chercher comme tout le monde les moyens d’action dans l’opposition légale, si elle veut être sérieuse.

C’est qu’en effet tout est là. À quoi sert aujourd’hui de lever à grand bruit un drapeau démocratique et révolutionnaire dans un pays où la démocratie est tout, où l’égalité est la loi souveraine, où le gouvernement lui-même se fait honneur d’être une émanation de la volonté populaire, où tout est possible, si on le veut, par l’action régulière du suffrage uni-