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cations, se livrent à ces jeux puérils ne s’aperçoivent pas qu’ils perdent le droit de sourire des émigrés de 1815 prétendant effacer la révolution, de Louis XVIII datant ses actes de la dix-neuvième année de son règne, Que l’histoire juge les dates et les époques, soit ; faites des conférence qu’on ira ou qu’on n’ira pas écouter, le monde ne marchera pas moins ; devant des électeurs, quand il s’agit des intérêts les plus pressans, les plus actuels du pays, faites de la politique avec des réalités, non avec des mots et avec des ombres. Or justement sous ce rapport, quel est le programme de la démocratie radicale ? C’est le point qui reste toujours enveloppé d’obscurité, et M. Gambetta, le belliqueux concurrent de M. Carnot dans la première circonscription de Paris, ne l’éclaircit certainement pas en proposant comme logogriphe à ses électeurs cette déclaration, que le principe de la souveraineté du peuple « scientifiquement appliqué peut seul achever la révolution française, fonder pour toujours l’ordre réel, la justice absolue, la liberté plénière et l’égalité véritable. »

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’après cette déclaration solennelle le candidat se croise les bras en demandant à ses électeurs parisiens « une commission nette et précise. » Une commission nette et précise sur quoi ?

La vérité est que ce jeune radicalisme qui reparaît aujourd’hui avec une recrudescence d’humeur militante se place dans une situation fausse, qui n’est qu’une impossibilité révolutionnaire déguisée sous un masque trompeur de légalité ou une inconséquence étrange sous le voile d’une audace de langage plus bruyante que décisive, et en réalité c’est plus probablement de l’inconséquence. La démocratie radicale est inconséquente lorsque, pour se donner une raison d’être, elle prétend rompre avec le libéralisme, et qu’en définitive elle ne promet rien, elle ne peut rien promettre qu’un vrai et sérieux libéralisme ne puisse réaliser mieux qu’elle. Elle serait au moins dans la logique des tendances révolutionnaires, si elle allait jusqu’aux doctrines socialistes qui fleurissent depuis quelque temps dans les réunions publiques ; mais elle s’en défend avec une honorable fermeté, elle refuse de s’engager dans ces régions où la liberté court trop de périls, et alors que représente-t-elle réellement ? Une effervescence d’imagination peut-être, le ressentiment d’une ancienne défaite, une dernière protestation en faveur de la république de 1848 ; ce n’est évidemment pas assez. La jeune démocratie radicale n’est pas moins inconséquente dans sa conduite lorsqu’elle se donne en apparence une attitude d’énergie qui deviendrait un reproche pour l’ancienne opposition parlementaire, et qu’en fin de compte elle ne fait rien, elle ne peut rien faire de plus que ce qu’a fait l’opposition du dernier corps législatif. Allons au fond des choses. Il ne suffit pas de dire comme M. Gambetta qu’on n’acceptera d’autre mandat que celui d’une « opposition irréconciliable, » ou, comme M. Laurier, qu’on secouera la torche