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serait absolument changée : ce sont les Crétois qui veulent devenir Grecs et non les Grecs qui veulent devenir Crétois. Il importe peu aux populations helléniques que le prince soit à Athènes, à Constantinople ou à Pétersbourg ; ce qui leur importe, c’est d’être soustraites à tout pouvoir absolu, quel qu’il soit, parce qu’aucun de leurs élémens sociaux ne peut se développer sous l’absolutisme. Il y a une apparence de paradoxe à dire que les Grecs n’ont ni haine pour les Turcs, ni amour pour les Russes : c’est cependant la vérité. Ce qu’ils reprochent à la Turquie, c’est son absolutisme ; ce qu’ils reprochent aux Turcs, c’est leur engourdissement, qui les livre, eux et les raïas, à des satrapes oppresseurs, et qui rend toute réforme illusoire. Si les races « éveillées » de l’empire turc étaient appelées à l’égalité des droits et pouvaient y exercer l’influence à laquelle elles peuvent prétendre, l’absolutisme du sultan diminuerait, sa puissance réelle deviendrait plus grande, et ces races songeraient moins à se détacher de lui et à se tourner contre lui. Ce changement est-il possible, et, s’il l’est, sera-t-il réalisé avant qu’un ébranlement général ait disloqué l’empire turc ? C’est ce que l’avenir décidera.

Pour le moment, il est certain que l’indépendance de la Grèce exerce sur les populations homogènes une attraction très puissante, et que l’état grec se trouve à leur égard dans une situation qu’il est impossible de changer. L’effort de sept années qui fut fait entre 1820 et 1830 n’aboutit qu’à la création d’un petit centre de libéralisme ; cependant toutes les populations helléniques du continent et des îles y avaient participé. La lutte fut générale, le résultat fut localisé ; la race grecque le considéra donc comme incomplet, et depuis ce temps elle n’a plus cessé de croire qu’elle aurait tôt ou tard à recommencer le combat. Quand on dit que la Grèce ne se suffit point à elle-même et qu’elle ne peut vivre, cela ne signifie pas seulement qu’elle est petite et pauvre, cela veut dire surtout qu’elle est inachevée et attractive. Plus son état intérieur s’améliorera, plus cette force d’attraction sera énergique, et d’un autre côté, si la Grèce ne réalisait à l’intérieur aucun progrès et restait habitée par des klephtes et des palikares, elle serait à perpétuité un foyer de révoltes, de brigandage et de piraterie. On ne voit pas qu’il soit possible aux politiques d’échapper à cette alternative ; mais, des deux partis, le premier est incontestablement le meilleur, et la Turquie même est intéressée à accepter et presque à favoriser le mouvement libéral qui attire les Hellènes les uns vers les autres.

Le royaume grec est à beaucoup d’égards dans la situation où était le Piémont avant 1859. Les Grecs avaient eu plus d’une fois leur Novare ; les Italiens trouvèrent leur Navarin à Solferino ; nous