Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/475

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui choisit ses ministres responsables, et il peut dissoudre la chambre ; par là, il adresse au peuple et à ses représentans une sorte de remontrance qui peut changer le cours des idées. Toutefois cette action du roi est limitée, et en cas de conflit prolongé le dernier mot reste toujours à la nation. Il arrive donc nécessairement, si la constitution est respectée, que la nation finit par avoir les ministres qu’elle veut et par marcher dans la voie qu’elle préfère. Il n’y a en Europe que la république helvétique où l’on puisse trouver une liberté aussi grande ; même il existe en Suisse des élémens de contradiction qui n’existent pas en Grèce et qui laisseraient l’avantage réel à cette dernière, si la Suisse n’avait pas appris à ses dépens à se bien gouverner elle-même. La Grèce au contraire fait son apprentissage en cela comme en tout le reste, et s’accoutume au travers des périls à la pratique de la liberté, dont ses publicistes lui donnent tous les jours la théorie.

Ces périls et cette turbulence de passions et d’idées ont soulevé dans ces derniers temps en Europe et même en Grèce la question de savoir si ce pays ne profiterait pas mieux sous un gouvernement absolu, et s’il est réellement capable de supporter une telle dose de liberté. C’est là une idée venue du dehors et contre laquelle les Grecs doivent se tenir en garde. Pour moi, je considère ce seul problème comme un rêve, et la tentative qu’on pourrait faire de le réaliser comme funeste et impraticable. Si la Grèce était un peuple de cultivateurs et que sa tribune politique, comme le Pnyx des trente tyrans, fût tournée du côté des terres, on pourrait peut-être l’asservir. Il n’en est pas ainsi, elle regarde la mer ; la marine est un adversaire naturel de l’absolutisme ; elle veut la liberté de ses mouvemens et de ses transactions ; c’est pour soustraire la leur à l’absolutisme musulman que les Grecs ont combattu pendant sept années, lutte où la marine marchande s’est changée tout à coup en marine de guerre. Pourquoi encore est-ce la Crète et non la Thessalie qui s’est récemment soulevée ? Un absolutisme qui n’interviendrait pas dans les transactions commerciales et qui n’aurait pas dans sa main la marine ne serait que nominal, et, s’il l’avait, il la ruinerait ou serait ruiné par elle,

Il en est de même de la banque : on la voit naître et grandir avec la liberté. Si elle est sous l’autorité de quelque pouvoir absolu, elle perd avec sa sécurité la confiance publique, qui est sa force vitale. La Grèce en a fait l’expérience tout récemment. Le capital de sa Banque nationale est représenté par les dépôts des particuliers et par des legs et donations faits au profit d’établissemens auxquels elle en paie le revenu. Un peu avant la réunion de la conférence, le ministère ayant demandé à une chambre élue sous son influence un vote de confiance en présence des périls qui, disait-il,