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et d’usages qui n’ont rien de commun avec la religion. Au fond, le mariage devant le prêtre est une union mystique qui n’est indissoluble que par convention, et que l’antipathie des conjoints rend par le fait illusoire. L’église romaine, pour des raisons tirées de sa politique, a cru devoir déclarer cette union perpétuelle comme les vœux monastiques. L’église orthodoxe n’a point admis cette doctrine, et s’est tenue plus près de la nature. Au temps de la domination turque, on n’éprouvait pas le besoin du mariage civil, qui était impraticable ; mais aujourd’hui l’absence d’union civile produit des effets désastreux. Le prêtre unit les hommes et les femmes avec une facilité incroyable ; on divorce fréquemment et sans motifs sérieux ; il se fait des échanges de maris entre femmes, de femmes entre maris, au grand détriment des enfans et des bonnes mœurs, au préjudice aussi des fortunes. Comme en se mariant on a toujours devant les yeux la possibilité d’un divorce, le régime dotal est à peu près exclusivement pratiqué : la femme conserve le libre usage de sa fortune, le mari ne peut l’empêcher d’en jouir à sa guise et même de la dilapider. Aussi, malgré les efforts et les exhortations des pères de famille, le luxe venu d’Europe a-t-il envahi avec une rapidité extrême la société hellénique.

Il est démontré aux yeux des hommes de loi de la Grèce que le mariage par-devant le prêtre ne suffit pas dans une société qui aspire à se civiliser, et que la religion n’est pas un frein assez fort pour en empêcher la décomposition. Ils voient autour d’eux trois manières de constituer la famille : celle des musulmans, où la femme est achetée comme une esclave et traitée comme telle ; celle des Grecs, où la monogamie a pour base le mariage religieux avec le divorce, qui la rend presque illusoire ; enfin celle des peuples civilisés d’Occident, où la loi civile intervient avec la rigueur de ses formules et son esprit de conservation. On peut dire que chez les mahométans la famille n’est pas constituée, qu’elle l’est à moitié chez les Grecs et chez ceux des catholiques où ne règne pas encore la loi civile, qu’elle l’est complètement là seulement où cette dernière a toute son énergie. C’est un des plus grands progrès que la société hellénique ait à réaliser que de constituer la famille par la réduction, sinon par la suppression des divorces. Elle rencontre pour cela des facilités dont ne jouissent pas les peuples catholiques, comme on en peut juger par l’Italie, l’Espagne, l’Autriche, où les clergés se révoltent contre ce qu’ils appellent les usurpations de la loi. Chez les Hellènes, le clergé n’a point l’habitude de rien tenter contre ce qui peut améliorer le sort de la patrie ; les prêtres, la plupart mariés, ont eux-mêmes intérêt à ce que la famille se consolide, et tous comprendront vite que ce progrès est un de ceux qui