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Hongrie, contiennent des descriptions sans fin des barbaries commises par les Serbes. C’est la mode aujourd’hui, c’est une manière sûre d’obtenir son brevet d’homme bien pensant, que de rejeter sur les seuls adversaires des Magyars toutes les cruautés de cette lutte. Les journaux hongrois des années 1848 et 1849 ont donné le ton ; désormais quiconque traite ce sujet est tenu de glorifier l’humanité, la générosité chevaleresque des Magyars dans la conduite de la guerre et de flétrir la barbarie des Serbes. Comment en faire un crime à des écrivains qui, n’ayant rien vu par eux-mêmes, ont dû se former une opinion d’après les rapports qu’ils ont lus ? Mais visitez la Hongrie méridionale, examinez les pays hongrois où ont passé les Serbes, les pays serbes où ont passé les Hongrois, et vous vous sentirez obligé d’annuler un verdict qui menace d’introduire un mensonge dans l’histoire. Je l’atteste, bien que ce soit pour des milliers de gens un article nécessaire de toute profession de foi libérale que de soutenir par serment l’humanité des Magyars, oui, je l’atteste ici, et je donnerai mes preuves : du degré d’inhumanité où s’est portée l’armée hongroise dans les provinces serbes, l’Autriche, l’Allemagne, le monde, n’en peuvent avoir l’idée[1]. »

Il faut espérer que ces tristes souvenirs s’évanouiront ; les Slaves et les Magyars seront bien obligés de s’entendre, puisqu’ils doivent vivre les uns à côté des autres. Ni la Hongrie ne disparaîtra pour laisser le champ libre aux Slaves de l’Europe orientale, ni les Slaves de l’Europe orientale ne pourront être arrêtés par les succès actuels des Hongrois dans l’accomplissement de leurs destinées. L’histoire cependant ne pouvait rejeter dans l’ombre un épisode qui a fait tant de bruit en Orient, et dont les conséquences dernières ne sont pas encore connues. Terminons du moins ce récit par des circonstances qui en marquent la signification. Si l’union des Serbes de Hongrie et des Serbes de la principauté n’a pas été réalisée par les armes dans la crise de 1848, elle l’a été, on peut le dire, dans l’ordre des sentimens et des idées. Le chef des Serbes était un jeune homme de vingt-six ans, George Stratimirovitch, qui avait servi comme lieutenant dans l’armée autrichienne, et qui était accouru au premier appel de ses frères. George Stratimirovitch a aujourd’hui sa place dans la poésie serbe comme les Lazare et les Marko. M. Siegfried Kapper nous a conservé un chant d’une beauté sauvage qui met en scène un Hongrois célèbre, M. Moritz Perczel, et le jeune chef de l’insurrection serbe. Le héros, le vainqueur, on le pense bien, c’est George Stratimirovitch ; Moritz Perczel, qui l’a provoqué à une lutte à mort, s’enfuit pour éviter ses coups jusque

  1. Stidslavische Wanderungen, von Siegfried Kapper, 2 vol. Leipzig 1853, t. II, p. 238-239.