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les Magyars la passion nationale avait brisé ses freins. Au surplus, qu’on approuve ou qu’on blâme l’intervention de la principauté serbe dans les affaires hongroises de 18A8, il est impossible de ne pas attribuer cette politique au prince Kara-Georgevitch, puisque tous ceux qui ont raconté ces événemens, amis et adversaires, y reconnaissent sa main. Ce que les uns revendiquent pour lui comme un honneur, les autres le lui reprochent comme un acte déloyal. « Le devoir, dit M. Iranyi, commandait au prince Kara-Georgevitch de garder la plus stricte neutralité. Au contraire, dès l’origine, il laissa faire ; plus tard, il agira. Nous le verrons sans aucun motif avouable, sans déclaration de guerre, expédier un corps d’armée auxiliaire aux Serbes insurgés de la Hongrie. En vain le cabinet de Buda-Pesth adressa au prince les réclamations les plus justes contre cette violation flagrante du droit des gens. Le représentant accrédité par la Hongrie près de la Porte-Ottomane protesta-t-il à cet égard à Constantinople ? Nous n’avons pas de renseignemens positifs sur ce point ; mais nous savons que les Serbes de Turquie, envoyés en Hongrie par Kara-Georgevitch, y restèrent jusqu’au moment où on les en chassa par la force des armes[1]. »

Avant d’être chassés, ils firent plus d’une fois trembler les Magyars. On cite surtout, parmi les épisodes de cette guerre, les journées des 18 et 19 août 18A8. Attaqués par l’armée hongroise sous les murs de Szent-Tamas, les Serbes repoussèrent l’ennemi avec une vigueur héroïque. Les Hongrois eux-mêmes ont rendu hommage à l’étonnante énergie de ces bandes indisciplinées. M. Iranyi raconte que, manquant de cavalerie pour lutter contre les hussards hongrois, elles y suppléèrent avec une merveilleuse audace. A travers des tourbillons de poussière, on voyait tout à coup surgir des milliers d’ennemis montés sur des chariots légers ; c’était la cavalerie serbe. « Ils se jetaient sur les avant-postes, les enlevaient, prenaient les vivres, les munitions, les troupeaux, et disparaissaient au galop de leurs attelages avant que l’ennemi averti eût pu les atteindre. »

Est-il vrai que la haine des Serbes pour les Magyars se soit manifestée dans cette guerre par d’atroces barbaries ? C’est ce que les Hongrois ont prétendu dès le premier jour, et ce que bien des plumes ont répété, mais un écrivain allemand fort désintéressé, ce me semble, entre les deux partis a prononcé une sentence toute différente. J’emprunte cette page à M. Siegfried Kapper, qui a visité les pays serbes au lendemain des guerres de 1848. « Les mémoires des généraux hongrois, les récits des derniers événemens de

  1. Histoire politique de la révolution de Hongrie, t. Ier, p. 343.