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simplement à vie. Quelle série de déchéances pour l’état serbe depuis la chute de Milosch ! La principauté n’existait plus. Le haineux Stoïan Simitch était-il encore disposé à dire : « La Serbie a reculé de cent ans par la chute de Milosch, mais nous nous sommes vengés ? »

Si la Serbie, pour se relever peu à peu, avait besoin d’appeler à son aide la politique la plus circonspecte, les graves et tranquilles allures du prince Kara-Georgevitch répondaient bien aux nécessités du moment. Les amis de son gouvernement signalent pourtant autre chose qu’une sagesse timide dans les actes de cette période. De grands événemens. ayant fourni aux Serbes l’occasion d’agir hors de leurs frontières, le prince Alexandre, disent-ils, n’eut garde de la laisser échapper. Jusqu’en 1848, la Serbie n’avait existé, n’avait donné signe de vie et de force que comme province de l’empire ottoman. Ses révoltes, ses guerres, ses victoires, la constitution de son indépendance, tout cela s’était passé au sein de l’empire ; pour la première fois en 1848 elle prit part aux événemens du dehors, elle exerça le droit de paix et de guerre en son propre nom, elle fît acte de souveraineté. A quelle occasion ? Dans la guerre de l’Autriche contre la Hongrie. x

On sait quelles vieilles haines séparent les Slaves et les Magyars. Il y a des Serbes en Hongrie, des Serbes longtemps opprimés, qui protestaient contre le despotisme des Hongrois, comme les Hongrois protestaient contre le despotisme des Allemands. Si des événemens séculaires n’avaient pas introduit les Magyars au cœur même des Slaves du sud, comme un coin au tronc du chêne, les Slaves de l’Autriche et de la Turquie, Tchèques, Esclavons, Croates, Serbes, Bulgares, domineraient aujourd’hui l’Europe orientale ; mais les Hongrois sont là depuis mille ans, il est un peu tard pour discuter le droit d’Arpad et de ses compagnons. N’importe, on comprend la colère qui s’empare des Slaves toutes les fois qu’ils songent à cette usurpation de territoire qui brise aujourd’hui leurs mouvemens et entrave leurs destinées. Comment donc s’étonner que les Slaves d’Autriche aient saisi avec fureur l’occasion des luttes de 1848 pour se jeter sur l’ennemi ? Ce n’était pas la révolution que combattaient les Croates du ban Jellachich, c’était le Magyar détesté. Ces cris de guerre retentirent en Serbie ; des bandes s’organisèrent, et le prince Alexandre s’enhardit jusqu’à favoriser le mouvement. Qui sait ? n’était-ce pas une occasion de reprendre aux Hongrois la voïvodie serbe ? Ne pouvait-on pas espérer du moins que l’Autriche la céderait à ses auxiliaires ? Si ce fut une illusion, la pensée était audacieuse, et ce curieux épisode a droit à un souvenir.

L’assemblée nationale de Pesth s’était plainte de la mollesse avec laquelle on réprimait l’insurrection. « Entre la Lisza et le Danube, sur les frontières de la principauté de Serbie, et plus loin, à l’est et