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cabinet de Saint-Pétersbourg. M. Blanqui, dont le témoignage a tant de valeur ici, puisqu’il a pu interroger les Russes et les Ottomans à la veille de la révolution de 1842, ne nous laisse aucun doute sur ce point. C’est bien le rôle de la princesse Lioubitza dans l’insurrection bulgare qui a excité la colère des Turcs. « Sa main était partout visible, écrit M. Blanqui ; elle avait parcouru la frontière sous différens prétextes pour prêcher la croisade contre les Turcs ; elle attendait d’un mouvement général des chrétiens la restauration de son mari, et en effet lui seul eût été capable de diriger avec succès une telle entreprise. Les Turcs ne s’y sont pas trompés, et cette conviction a dû beaucoup influer sur la politique qu’ils viennent de suivre en Serbie. Pour moi, je considère l’expulsion du prince Michel et de la famille Obrenovitch comme une garantie que les Turcs ont voulu se donner contre le retour de l’insurrection de 1841. La princesse Lioubitza a cru travailler dans l’intérêt de son époux, et elle a provoqué la chute de son fils. Son absence dispensera les Turcs d’entretenir une armée de 20,000 hommes. » Agiter les provinces chrétiennes de l’empire turc, voilà le service que la mère du prince Michel rendait à la Russie, et c’est aussi pour cela que le remplacement du jeune prince devait soulever les protestations de Saint-Pétersbourg.

La Russie soutenait que la chute ou plutôt l’abandon du prince Michel n’avait été qu’une surprise, que la nation n’avait pas été loyalement consultée, qu’il y avait lieu de revenir sur une procédure si fort irrégulière ; elle proposait donc de nommer une commission mixte, une commission formée de diplomates russes et ottomans qui jugerait l’administration du prince Michel. Si le jugement était favorable au prince, les deux puissances le replaceraient sur le trône. La Turquie, afin de déjouer les intrigues russes, déclarait s’en tenir aux faits accomplis ; l’Autriche l’appuyait avec vigueur, et le conflit prenait déjà des allures inquiétantes quand la diplomatie russe battit en retraite. On convint seulement d’un moyen terme. L’élection du prince Alexandre avait été faite au lendemain de la révolution, dans une skouptchina effarée, en présence des vainqueurs et du pacha de Belgrade ; on décida que Voutchitch, Petronievitch, Stoïan Simitch, ainsi que le gouverneur de la forteresse, Kiamil-Pacha, s’éloigneraient du territoire serbe, et qu’une élection nouvelle aurait lieu. Ce n’était plus qu’une formalité ; le 13 juin 1843, la skouptchina, présidée par la commission mixte, ratifia les événemens accomplis dix mois auparavant ; Peu de temps après, le prince Kara-Georgevitch reçut de Constantinople son bérat d’investiture qui lui conférait la dignité de prince des Serbes comme une fonction révocable au gré du divan de Constantinople, puisqu’elle n’était accordée ni à titre héréditaire, ni même