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génération est une théologie barbare dont l’atrocité primitive est recouverte par les prodiges qui plus tard ont fleuri sur cette racine amère. Le dogme si enivrant pour l’imagination et pour la sensibilité d’un Dieu mort pour les hommes a attiré à lui toute la pensée et toute la foi ; l’on a oublié que ce miracle d’amour n’était possible que par un miracle de cruauté. Si l’on dit qu’il y a une justice pour Dieu autre que pour les hommes, on ruine par la base les principes de toute croyance, soit morale, soit philosophique, car qui m’assurera qu’il n’y a pas aussi une vérité pour Dieu et une vérité pour les hommes ? Là est la racine d’un scepticisme irrémédiable. J’admets une justice surhumaine, c’est-à-dire une justice plus juste que la mienne, et qui pèse dans des balances infiniment délicates ce que je ne puis peser que dans des balances grossières, une justice qui se confond avec la miséricorde, et qui ne fait pas payer aux hommes le péché d’être né ; mais quant à cette justice qui punit les innocens pour les coupables et qui déclare coupable celui qui n’a pas encore agi, c’est la vendetta barbare, ce n’est pas la justice des hommes éclairés. Elle n’est pas au-dessus de mon idée de justice, elle est au-dessous. Sur ce point, soyez-en sûrs, nous avons aussi une foi, une foi aussi ferme que la vôtre. Ce n’est pas pour des raisons de critique plus ou moins contestées entre les savans, c’est pour des raisons morales, c’est par respect pour le saint nom de la Divinité que nous nous refusons à cette théologie. Nous aurions honte d’imputer à Dieu ce dont nous aurions des remords nous-mêmes, si comme législateurs humains nous avions porté une pareille loi.

Comme la raison, selon nous, doit rejeter le fondement même et le principe de tout le système théologique de M. Guizot, nous n’avons pas besoin de discuter les considérations, intéressantes d’ailleurs, que M. Guizot fait valoir en faveur du surnaturel. Peu importe la possibilité métaphysique du surnaturel, peu importe la question de savoir si la possibilité des miracles est ou n’est pas contenue, dans le principe de la personnalité divine. La première condition d’une religion vraie, c’est l’accord avec la conscience morale ; sur ce point, nous sommes et nous devons être inflexibles. Il n’y a pas de miracle qui me force à déclarer juste ce qui ne l’est pas ; car je puis me défier du témoignage de mes sens, et l’on ne réussira jamais à me prouver que l’extraordinaire soit le miraculeux ; mais je ne puis me défier du témoignage de ma conscience morale sans mettre tout en question. Bossuet dit quelque part avec cette candeur de foi qu’on ne saurait trop admirer : « Nous avons tous dans le cœur l’impression naturelle de cette justice qui punit le père sur les enfans. » Que ceux qui ont cette impression naturelle dans le cœur se tiennent pour satisfaits de cette belle théologie,