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le christianisme. Il ne veut pas seulement que la religion soit une source d’émotions pour l’âme ; il veut aussi qu’elle soit une source de lumière pour la raison. Il veut confondre la philosophie et l’humilier devant la religion. A la pauvreté et à l’obscurité de nos systèmes, il oppose la plénitude, la richesse et la clarté des dogmes chrétiens. Il dit aux philosophes : Vous êtes les ténèbres, et voici la lumière. Cette manière hardie de poser le problème est bien celle qu’on devait attendre du mâle esprit de M. Guizot : il ne se contente pas aisément des situations vagues et banales. Toutefois, précisément parce que cet esprit aime les situations tranchées, il comprendra que les philosophes n’acceptent pas aussi volontiers pour la philosophie l’humiliation qu’il lui impose, et qu’eux-mêmes à leur tour, avec respect, mais avec fermeté, lui demandent librement : Quelle lumière nous proposez-vous ?

C’est ici le lieu d’expliquer par quelles raisons nous prenons la liberté de nous avancer ici sur un terrain sacré, au bord duquel la philosophie spiritualiste s’est généralement arrêtée. Nous ne sommes animés d’aucune mauvaise intention contre les croyances d’un si grand nombre de nos semblables ; si elles sont la vérité, nous sommes les premiers à désirer qu’elles reconquièrent le domaine des âmes, comme on prétend qu’elles le font en effet. Nous ne demandons pas mieux, et nous sommes tout prêts à dire au Seigneur du fond du cœur : Adveniat regnum tuum ; mais chacun a ses croyances, et nous demandons que toutes les croyances aient le même droit de s’exprimer hautement et librement. Il importe au succès même de la vérité que chacun dise ce qu’il pense, tout ce qu’il pense. Le mariage équivoque de la philosophie et de la théologie, qui a été recommandé pendant longtemps, n’a servi en rien à la cause de la religion, et il a gravement compromis la cause de la philosophie, surtout de la philosophie spiritualiste. Dès qu’on a été persuadé de l’existence d’un traité secret entre le spiritualisme et l’église, toutes les objections et toutes les préventions dirigées contre l’une ont en même temps porté sur l’autre. Le spiritualisme est devenu, aux yeux de la plupart de ses adversaires, une opinion théologique, et c’est ainsi que l’athéisme a réussi à faire de sa cause la cause de la libre pensée. Nous croyons que, dans l’état actuel des opinions, le spiritualisme doit à la vérité et se doit à lui-même de se séparer de la théologie aussi nettement que de l’athéisme.

Les lecteurs des Méditations chrétiennes, à quelque doctrine qu’ils appartiennent, ont été généralement frappés d’une lacune étrange. L’auteur parle énergiquement et éloquemment en faveur du christianisme ; mais de quel christianisme s’agit-il ? Ne sait-on pas qu’il y