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indestructibles dans toute âme humaine. La philosophie ne résout pas ces problèmes ; la religion les résout. L’apologie chrétienne de M. Guizot a donc pour fondement la négation de la philosophie.

Il y a eu en effet dans tous les temps deux manières d’entendre les rapports de la philosophie et de la religion : ou bien nier la philosophie, la déclarer radicalement impuissante ; c’est ce que font Tertullien, Luther, Pascal, Lamennais et en général les croyans absolus et extrêmes, ou bien la considérer comme une préparation à la religion, un premier étage sur lequel s’édifiera plus tard le dogme chrétien : telle est la pensée de saint Clément d’Alexandrie, de saint Augustin, de saint Anselme, de Fénelon, et, dans l’église protestante, de Mélanchthon et des esprits tempérés. De ces deux manières d’entendre la philosophiez M. Guizot, nous l’avons vu, préfère la première. Il nie expressément la philosophie, ou du moins la métaphysique, la philosophie première, et par là même la théologie naturelle. Il lui refuse le titre de science, c’est-à-dire toute valeur démonstrative. Il lui oppose ses systèmes éternellement les mêmes, ses dissentimens, ses contradictions ; à ses obscurités et à ses doutes, il oppose avec sécurité les certitudes et les lumières du dogme chrétien. Lorsque parut le premier volume des Méditations de M. Guizot, je pris la liberté d’adresser à l’illustre écrivain quelques objections : ces objections me procurèrent la bonne fortune d’une réponse des plus intéressantes que je suis autorisé à publier, et qui peut servir de commentaire à la pensée de l’auteur sur le rôle et la valeur de la science philosophique.


« Je prendrais un grand plaisir, monsieur et cher confrère, à causer un peu à fond avec vous des questions qui, malgré la diversité de nos occupations habituelles, nous préoccupent également l’un et l’autre. Je suis entré dans la vie de la pensée par l’histoire et la philosophie de l’histoire. J’ai donné mes plus fortes années aux affaires publiques. Ce qui m’est resté appartient aux questions religieuses. Je ne songe plus qu’à recueillir les souvenirs de ma vie politique et les raisons de ma foi. Dans le volume que je vous ai envoyé, il n’y a que des titres de chapitres ; à chacune des quelques idées qu’il contient manque le développement, c’est-à-dire la lumière qui justifie une idée en l’éclairant dans tout son cours, depuis son principe jusqu’à ses dernières conséquences. Je n’ai garde de prétendre y suppléer aujourd’hui et dans une lettre ; mais je tiens à vous dire tout de suite quelques mots sur les deux points auxquels vous avez touché en m’écrivant.

« Je ne veux et ne crois rien accorder à l’école positiviste quand je dis que ce qui dépasse le monde fini dépasse le domaine de la science humaine. Au-delà du monde fini, l’école positiviste nie qu’il y ait quelque