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homme qu’avait encouragé peut-être l’impunité du premier. Celui-ci portait l’habit d’un esclave ou d’un domestique. On l’avait vu rôder près du palais, étudiant les habitudes des serviteurs qui depuis le récent événement semblaient être sur leurs gardes. Les portes ayant été ouvertes, il prit sa course de la rue où il était posté jusqu’à la demeure épiscopale, comme s’il eût été chargé de quelque missive importante pour l’archevêque. Un passant à qui ses allures parurent suspectes l’arrêta sur le seuil en lui demandant ce qu’il voulait ; celui-ci lui répondit par un coup de couteau qui lui pénétra dans la poitrine. Aux cris du blessé, au sang qui jaillissait de la plaie, d’autres passans accourent, mêlés aux gens de l’archevêque ; on entoure le meurtrier, qui se défend et frappe encore deux hommes ; puis, brandissant son poignard ensanglanté, il se fait jour à travers la foule déjà nombreuse, et parvenait à s’échapper quand un habitant du quartier qui revenait du bain, averti par les cris, essaya de l’arrêter en le saisissant à bras-le-corps ; mais il tomba à son tour percé de coups. Son attaque et sa chute ayant ralenti la course du meurtrier, la foule put enfin lui barrer le passage. On se rue sur lui, on l’enveloppe, on le terrasse, on le traîne au prétoire du magistrat, qui n’eut pas la peine de le mettre à la question, car le scélérat avoua tout, et quand on le fouilla, on le trouva muni de trois couteaux acérés. Il confessa qu’il avait eu l’intention de tuer Chrysostome, qu’il avait reçu pour cela cinquante pièces d’or dont il était porteur, qu’il était domestique d’un prêtre nommé Elpidius (ce prêtre avait figuré dans les rangs inférieurs parmi les ennemis les plus passionnés de l’archevêque), et qu’enfin c’était son maître qui l’avait poussé à ce crime. Le peuple exigeait qu’on fit bonne et prompte justice de ce misérable, qu’il eût voulu mettre en pièces sur-le-champ. Le magistrat promit qu’on procéderait, toute affaire cessante, à son jugement, le fit charger de fers et enfermer dans un cachot. En attendant, les victimes de cet homme, au nombre de sept, moururent l’une après l’autre, car les plaies avaient été dangereuses et profondes ; on en enterra quatre le jour même ou le lendemain, et une multitude immense suivit les funérailles, faisant éclater son amour pour Chrysostome, son indignation contre des prêtres qui provoquaient à l’assassinat. Les révélations du meurtrier ne laissant aucun doute sur son compte, le magistrat n’avait plus qu’à rechercher ses complices et à donner un exemple éclatant de sévérité ; il n’en fut pas ainsi, aucun complice ne fut découvert, et le coupable lui-même disparut de la prison sans qu’on pût savoir ce qu’il était devenu. Cette étrange conduite du juge, qu’il n’avait pu suivre qu’en vertu d’ordres supérieurs, poussa au plus haut degré l’irritation du peuple. Des rassemblemens eurent lieu dans les principaux quartiers de la ville ; on s’organisa