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bouche en bouche, y réunit bientôt un grand nombre de chrétiens de toutes conditions et de tout âge.

Le bain public dont on attribuait la construction à l’empereur Constance, fils du grand Constantin, était le plus spacieux de toute la ville, et desservait un des quartiers les plus populeux. Les catéchumènes s’y réfugièrent donc avec leurs prêtres et leurs diacres ; on s’en empara, on bénit l’eau des bassins, on installa autour tout l’attirail liturgique, et le lieu profane fut transformé en église. Sur un autel construit à la hâte, on reprit la célébration des saints mystères à l’endroit où les violences armées l’avaient interrompue. Au chant des psaumes qui retentissaient au dehors, aux avis répandus de toutes parts, les chrétiens accouraient en masses pressées. Ceci déjoua les manœuvres de Sévérien et de ses complices, qui avaient voulu faire administrer le baptême par des clercs de leur communion, et rendait inutile l’invasion de Sainte-Sophie. Ils allèrent trouver le maître des offices pour lui demander de faire balayer par la force ces troupes de factieux que Jean, disaient-ils, avait provoqués à se réunir pour désobéir à l’empereur. « Il n’y a plus de prince, ajoutaient-ils, il n’y a plus de gouvernement ; Jean est ici chef et souverain. » Le maître des offices, Anthémius, auquel ils parlaient, était un homme modéré et droit qui, tout en gardant fidélité à l’empereur, blâmait les cabales de la cour et restait attaché de cœur à Chrysostome. Le message des évêques lui déplut. « Il est tard, dit-il, la nuit va bientôt commencer ; on dit que la foule du peuple est considérable, et l’emploi de la force peut amener bien des malheurs. » — « Mais si on ne les disperse, reprit aigrement Acacius, qui portait la parole, il faut que nous nous déclarions des imposteurs, nous les conseillers du prince, car nous n’avons cessé de lui affirmer, ce qui est vrai, que le peuple détestait Jean et ne voulait plus l’avoir pour évêque. Si l’empereur, sortant de son palais, trouve l’église déserte et le peuple assemblé ailleurs, il croira que nous l’avons trompé et nous tiendra pour gens de mauvaise foi. La chose à faire serait pourtant bien simple : ce serait de mettre fin à ce conciliabule factieux et de signifier à la foule, abusée par quelques hommes, que sa place est à la basilique, où on la forcera bien de retourner, coûte que coûte. » Anthémius savait de quel crédit Acacius et ses amis jouissaient près de l’impératrice, et combien dans la circonstance il pouvait être dangereux de leur tout refuser. « Faites donc comme il vous plaira, se contenta-t-il de leur dire, je vous en laisse responsables. Allez trouver un de mes officiers nommé Lucius, arrangez l’affaire avec lui ; mais surtout qu’il n’y ait point de violences. »

Lucius commandait près de la cour un corps de ces gardes palatines qui portaient le nom de scutaires à cause des boucliers