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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


se passait, et ajouta avec véhémence : « Vous voyez comme vous m’avez bien conseillé ! Cherchez du moins ce qui me reste à faire. » Les évêques confus répliquèrent qu’ils n’avaient rien conseillé que de juste, que Jean n’était plus évêque, n’avait plus le droit d’administrer les sacremens, et, insistant sur sa condamnation, ils s’écrièrent : « Nous prenons sa condamnation sur nos têtes ! » Les Juifs avaient dit à Pilate, en demandant le crucifiement de Jésus-Christ, « que son sang retombe sur nous et sur nos enfans ! » C’était le même sentiment, sinon les mêmes mots. Leur déclaration rassura l’empereur, qui, se croyant déchargé par là de la responsabilité des actes qu’il allait commettre, ordonna qu’on allât sur-le-champ à l’église en arracher de force le prisonnier et le reconduire au domicile épiscopal. Des soldats partirent pour exécuter l’ordre.

La cérémonie cependant avançait dans l’enceinte de Sainte-Sophie. Les exorcismes avaient été prononcés, les huiles et les saintes eaux consacrées ; les diacres et les diaconesses se tenaient à leur place, échangeant les vêtemens, et les catéchumènes se succédaient par ordre dans les fonts baptismaux, quand un tumulte effroyable se fit entendre aux portes, et une troupe de soldats, l’épée au poing, envahit l’intérieur de la basilique. Ils saisirent d’abord l’archevêque, qu’ils traînèrent rudement vers le cloître malgré ses protestations ; se divisant ensuite en deux parts, les uns coururent aux baptistères, les autres se dirigèrent par la nef de l’église vers le chœur et les clôtures du saint des saints. Ceux qui entrèrent dans le baptistère des hommes firent évacuer les piscines à coups d’épée, frappant indistinctement les néophytes et les clercs : dans ce conflit, plusieurs furent blessés, « et les eaux de la régénération des hommes, nous dit un des témoins de ces violences, furent rougies de sang humain. » Dans le baptistère des femmes, la scène fut encore plus lamentable. Ces malheureuses à demi vêtues se dispersèrent çà et là dans l’église, effarées et poussant de grands cris ; on en vit une qui, devenue folle de terreur, se fit jour dans la foule et s’enfuit toute nue à travers les rues de la ville. Les soldats qui s’étaient dirigés vers le chœur forcèrent les portes du sanctuaire et y commirent des profanations dont le souvenir indignait encore, un demi-siècle après, les auteurs ecclésiastiques qui nous les ont racontées. Beaucoup de ces grossiers soldats étaient païens : ils portèrent une main impie sur les saintes espèces, et le sang de l’eucharistie fut répandu sur leurs vêtemens. « Je me tais, s’écrie à ce sujet l’historien Sozomène, pour ne point révéler ici aux infidèles ce qu’il y a de plus redoutable dans nos mystères. » Les catéchumènes et les clercs chassés de l’église s’entendirent pour se rassembler ailleurs : on se donna rendez-vous aux thermes de Constance, où la cérémonie baptismale devait s’achever, et cet avertissement, passé de