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l’analyse des idées ou dans la représentation des choses, partout les témoignages d’un esprit en quête du mieux, de la correction irréprochable, de la définition absolue. Reste à savoir toutefois si par momens cette application même ne nuit pas à la simplicité des formules, et si, à force de prétendre tout énoncer, tout expliquer, tout éclaircir, M. Lehmann n’arrive pas çà et là à exiger un peu trop de notre attention ou de notre sagacité.

La partie du nouveau travail de M. Lehmann qui nous semble le moins à l’abri de ces soupçons ou de ces reproches est celle dans laquelle il a figuré la Loi protégeant l’Innocence et punissant le Crime. Que de fois, il est vrai, la peinture n’a-t-elle pas eu à traduire un pareil thème ! Comment, en le traitant une fois de plus, échapper soit à l’inconvénient et à l’ennui des redites, soit au danger de n’aboutir par les innovations qu’à des symboles malaisément intelligibles ? Pour comble de difficulté, le champ sur lequel il s’agissait de retracer, au centre du plafond, cette allégorie prévue, ce champ est de forme ovale, par conséquent à peu près en contradiction matérielle avec les lignes et les apparences inflexibles propres à un semblable sujet. Était-ce une raison néanmoins pour encombrer ainsi chaque côté du tableau, et, quant à la signification morale de la scène, pour multiplier à ce point les intentions épisodiques ? Que M. Lehmann ne se soit pas contenté de personnifier, après tant d’autres, la loi par la simple immobilité de l’attitude, et les bienfaits ou les châtimens qu’elle assure par deux ou trois figures traditionnellement groupées au pied de son trône, cela se conçoit ; mais n’était-ce pas en revanche bien compliquer les termes du programme que de prétendre nous montrer la loi armée à la fois d’un glaive pour protéger les faibles et d’un miroir pour en darder les rayons vengeurs sur la fraude, tandis que ses deux pieds écrasent un criminel enchaîné ? N’y avait-il pas d’une autre part une certaine imprudence à mélanger autour de cette figure les caractères très positifs des mouvemens et les caractères forcément imaginaires des types, à représenter par exemple la fraude et la violence dans tout le tumulte de lignes que comporte l’action matérielle de la chute ou de la fuite, en regard des apparences calmes jusqu’à l’abstraction idéale qui résument d’autres intentions et d’autres faits ?

De ces élémens complexes, de ces désaccords partiels entre l’invention arbitraire et les souvenirs dramatiques de la réalité, il résulte pour le spectateur quelque incertitude sur le sens exact de l’œuvre. Contraste singulier, c’est précisément parce qu’il a trop voulu se garder des indications incomplètes ou des réticences, parce qu’il a cru devoir accumuler tous les moyens d’expression pittoresques, toutes les ressources et toutes les formes de la pensée