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l’abolition de l’église d’Irlande a été définitivement adopté par la chambre des communes après une suprême tentative pour faire ajourner à trois mois la troisième lecture. M. Disraeli a livré un dernier combat plus par un sentiment d’honneur pour son parti que dans l’espérance de la victoire, et M. Gladstone n’a eu que peu d’efforts à faire pour entraîner la chambre, qui a tranché la question à une majorité de plus de cent voix.

Le bill sur l’église d’Irlande a pourtant encore une résistance à vaincre, celle de la chambre des lords. Les tories, qui sont en force dans la chambre haute, ne demanderaient pas mieux évidemment que d’arrêter au passage une mesure qui froisse tous leurs sentimens. Il y a eu récemment chez le duc de Marlborough une réunion pour décider ce qu’on ferait, et la plupart des membres de cette réunion, lord Derby, lord Cairns en tête, se sont prononcés hautement pour le rejet du bill ; mais la chambre des lords, mise en face d’une résolution extrême, ira-t-elle jusqu’à un rejet du bill ? Elle n’était pas mieux portée pour la réforme électorale, et elle a fini par l’adopter. Elle n’était pas plus favorable autrefois à la grande réforme de la loi des céréales, et elle n’en vint pas moins à s’y résigner. Agira-t-elle autrement aujourd’hui dans des circonstances analogues et en présence d’une question tranchée d’avance par le sentiment public ? Que les chefs du parti tory persistent jusqu’au bout dans leur opposition, qu’ils fassent ce qu’ils pourront pour écarter une mesure dans laquelle ils voient une atteinte à la vieille constitution de l’Angleterre, à la suprématie du protestantisme, c’est assez vraisemblable. Ils prononceront des discours, ils s’armeront de tous les scrupules religieux et nationaux : soit ; avec un sentiment plus personnel de conservation, ils feront ce qu’a fait M. Disraeli dans la chambre des communes, ils tiendront sur la brèche le drapeau de leur parti. La question est de savoir si dans la masse de la chambre des pairs beaucoup de membres plus obscurs qui votent sans parler ne se laisseront pas gagner aux conseils d’une modération nécessaire, ne fut-ce que pour ne pas aller au-devant d’un conflit avec la chambre des communes. En définitive, à quoi cela servirait-il ? Au point où en sont les choses, une résistance absolue ne serait pour les lords qu’un moyen d’attester leur impuissance. Quand même la chambre haute repousserait le bill dès la première lecture, elle aurait tout au plus gagné quelques semaines. Pour se donner la vaine satisfaction d’un vote hostile, elle rallumerait des discussions passionnées qui tendent à s’épuiser, et elle n’aurait rien résolu. On aurait recours à quelque biais constitutionnel, on ajournerait le parlement pour quelques jours, on ferait aussitôt une autre session, on présenterait de nouveau le bill sur l’Irlande, et la chambre des lords se trouverait encore une fois placée en face d’une question devant laquelle elle serait bien obligée d’abdiquer ses répugnances, sous peine de se mettre en contradiction avec un courant d’opinion irrésistible. La chambre des lords n’est plus en état d’engager de ces redoutables par-