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politique d’immobilité, on découvrirait bien vite que l’immense majorité du pays appartient au libéralisme.

C’est là le sentiment de la nation dans sa nudité, dans sa profondeur. Après le scrutin du 7 juin, comme après le scrutin du 24 mai et encore plus après les troubles du boulevard Montmartre, on peut le dire, la France n’est ni révolutionnaire ni officielle, ni radicale ni administrative ; elle ne s’asservit à aucun souvenir, à aucune haine, elle est libérale dans le plus large sens du mot ; elle veut reprendre sa marche, elle veut chaque jour faire un pas sans se jeter dans des aventures qui, une fois de plus, la feraient revenir en arrière ; elle aspire à voir enfin ses institutions se remettre d’accord avec ses instincts, et on peut ajouter que c’est désormais une condition de paix publique. C’est là pour le moment tout ce qu’on peut constater comme un indice de la politique qui reste à suivre.

Naturellement nous ne savons pas ce que le gouvernement se propose de faire pour dégager une situation plus menacée par des difficultés intimes que par les désordres extérieurs, et il ne le sait peut-être pas bien lui-même encore. Rien ne sera décidé sans doute avant les prochaines délibérations du nouveau corps législatif, qui doit se réunir Le 28 juin pour se constituer par la vérification de ses pouvoirs. En attendant, on le pense bien, le gouvernement ne manque pas d’avocats ou de médecins consultans, et parmi ces conseillers en voici un qui, plus que bien d’autres assurément, a toute sorte de titres à son attention ; c’est M. de Persigny lui-même, qui dit son mot sous la forme d’une lettre adressée à un ami, lequel s’est hâté, bien entendu, d’en faire part au public. M. le duc de Persigny est un homme de dévoûment et d’esprit qui n’a aucune antipathie contre la liberté, on le sait, pourvu qu’on commence par être d’accord sur toute chose. Pour aujourd’hui, le pétulant ministre qui dirigeait les élections de 1863 se montre rigoureux à l’égard des serviteurs actuels de l’empereur ; il trouve que les ministres n’ont pas assez fidèlement, c’est-à-dire assez sévèrement exécuté les lois sur la presse et sur les réunions, qu’ils ont été faibles, irrésolus, pusillanimes, qu’ils ont fait par leur imprudence la popularité de M. Gambetta, enfin que les choses ne vont pas le mieux du monde. Soit, l’état du malade est décrit un peu à la couleur noire et par un homme qui doit bien connaître son tempérament ; malheureusement il est assez difficile d’apercevoir ce que propose M. de Persigny, à moins qu’il ne prenne lui-même au sérieux une recette dont on pourrait sourire, si elle ne se présentait sous la garantie d’un personnage de cette marque. Mon Dieu, oui, la recette n’est pas compliquée. La France est le pays du monde le plus facile à gouverner, elle l’a prouvé plus d’une fois ; elle se laisse faire sans trop de peine, — à une condition toutefois, « c’est que le gouvernement ait toutes les vertus politiques. » Nous ne voudrions sûrement décourager personne