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accompli ? Si on n’avait rien dit et si on n’avait rien fait, est-ce que les lois sur la presse et sur les réunions existeraient, et ces élections qui viennent de s’accomplir auraient-elles pris ce caractère d’une renaissance politique ?

La vérité est qu’aujourd’hui plus que jamais il y a deux courans distincts, l’un qui veut tout précipiter au risque de tout compromettre, l’autre qui est un mouvement sérieux, profond, suivi, et dont les élections sont jusqu’ici le dernier mot. Voilà la situation d’où il faut partir. Que le radicalisme soit un élément à compter dans le travail actuel du pays, ce n’est pas là ce que nous contestons. Il a sa part dans nos affaires, il a repris son rôle militant, il écrit et il pérore, il est dans son droit. Pour le moment cependant, ses prétentions dépassent son importance, et en définitive à quoi a-t-il abouti ; quelle est cette grande part de victoire qu’il revendique dans les élections ? Il vient d’échouer à Paris ; il a été visiblement battu dans les hommes de son choix et de sa préférence ; il a joué la partie, et il l’a perdue. Dans la France entière, sauf sur deux ou trois points, ses candidats n’ont eu qu’un nombre imperceptible de suffrages. Réduit à lui-même, le radicalisme qui se proclame irréconciliable, intraitable, n’a pas réuni peut-être 300,000 voix, et encore parmi ces irréconciliables de la première heure on en voit déjà qui se modèrent singulièrement. Il est certain du moins que la circulaire par laquelle M. Gambette a enlevé son élection à Marseille n’est plus du même ton que ses discours de Paris ; elle est d’un homme parfaitement maître de lui-même et assez pratique, qui sera peut-être utile le jour où il sera devant une assemblée qu’il voudra convaincre. Il devient assez clair aussi que les dernières échauffourées du boulevard Montmartre ne font pas une position facile à ceux des irréconciliables qui voudraient aller trop loin, à moins qu’ils ne bornent leur rôle à faire un bruit inutile. Disons le mot, tout cela est assez factice. Ce qu’il y a de sérieux dans les élections, ce n’est nullement cette victoire partielle, bruyante, du radicalisme sur quelques points de la France. Ce qu’il y a de caractéristique, c’est qu’en dehors des votes appartenant à la démocratie extrême, en dehors des suffrages qui sont restés fidèles à l’administration, il se soit rencontré un nombre immense de voix se ralliant à des candidatures simplement indépendantes, qui, pour n’avoir point réussi, ne comptent pas moins dans le dénombrement moral des forces de la France. C’est par là que les élections dernières se rattachent à ce mouvement dont nous parlions, à ce pacifique progrès d’opinion dont elles, sont en quelque sorte le couronnement. On peut distribuer les chiffres, multiplier les nuances et arranger des groupes tant qu’on voudra. Si on analysait impartialement les scrutins du 24 mai et du 7 juin, et si en même temps on observait que, parmi les voix qui ont répondu à l’appel du gouvernement, il en est beaucoup qui ne sont nullement inféodées à une